See english version by clicking on this link : Digital use and citizen participation in Taiwanese urban development project, the I-Voting experience case in Taipei.
Les problématiques urbaines auxquelles la démocratie taiwanaise doit faire face sont sensiblement les mêmes que celles rencontrées en Europe : reconversion de ses friches industrielles, renouvellement du rapport à son milieu naturel, mise en valeur de son patrimoine historique et culturel tout en tenant compte de la volonté de participation de la société aux prises de décisions publiques.
Du point de vue de la participation des habitants, Taiwan n'a cessé d'évoluer dans un vaste mouvement continu, mais non sans heurts, depuis l'abolition de la loi martiale en 1987. Ce volontarisme politique d'ouverture à la société civile, engagé depuis les années 1990, se traduit notamment par la politique de Community Empowerment mise en place dès 1993. Dans une démarche de progressisme démocratique, le nouveau maire Ko Wen-Je, élu en 2015, organise notamment de grandes réunions publiques qui portent sur les principaux projets d'aménagement urbains en cours. Cette volonté se traduit aussi par d’autres initiatives plus récentes comme la procédure de i-Voting1 mise en œuvre dans le cadre du projet d'aménagement de la presqu'île de Shezidao. Si elles restent marginales à l'échelle de la planification urbaine des villes taiwanaises, ces initiatives participent néanmoins aujourd’hui de la consolidation d'une culture du dialogue et de la co-construction.
Consultation publique par i-Voting
Dans la perspective d'une plus forte implication des citoyens dans les décisions publiques, le projet d'aménagement de la presqu'île de Shezidao a donc fait l'objet d'une expérimentation de démocratie participative. Il s'agit de la procédure dite de i-Voting, c'est à dire de vote en ligne.
Littéralement « île de Shezi », la presqu'île est située dans le district de Shilin, à la limite nord de la ville et à la confluence des rivières Tamsui et Keelung, sous le niveau de la mer. Elle est ainsi soumise à un risque fort et récurrent d'inondation car aucune digue n'y a encore été construite, contrairement au reste de la ville qui est en contact avec une rivière. Elle est concernée dans sa quasi totalité par un vaste et complexe projet de développement de 293 ha dont le foncier est actuellement utilisé à des fins d'agriculture, de petite industrie et d'habitation.
Comme aucun plan de développement n’a été officiellement validé depuis plus de 40 ans, la moitié des 11 000 habitants de la presqu’île occupe un terrain de manière illégale. Ainsi, le raccordement aux réseaux d'électricité et d'eau potable n’est pas assuré par la collectivité. L’objectif aujourd’hui affiché par la mairie est le relogement de l’ensemble des habitants dans des bâtiments qui seront construits sur place. Ils vont se voir proposer deux options : soit louer un appartement en habitat social, soit acheter un appartement construit par la collectivité. Dans le cadre du processus de relogement, il est également prévu que 8 000 personnes aillent vivre « temporairement » sur la rive opposée, à l’Est de la rivière Keelung, qui est elle-même en cours d'aménagement.
Ainsi, dans le cadre de l’aménagement de la presqu’île, trois projets distincts ont été élaborés au cours de l'année 2015 par la mairie. Deux projets ont été conçus par le département du développement urbain (Urban Development Department) à l’initiative du vice-maire, qui préside par ailleurs la commission d’Urban Planning. La troisième proposition a été dessinée par le département d’utilisation du sol (Land Use Department). La proposition 1, « Shezidao canal », prévoit d’accueillir 32 000 habitants sur 180 ha aménagés. La proposition 2, « Shezidao écologique », 32 000 habitants sur 240 ha, et la proposition 3, « Notre Shezidao », 16 000 habitants sur 240 ha.
Ces trois variantes ont été soumises à consultation publique par le biais du i-Voting, le vote pouvant se faire sur internet mais aussi physiquement dans des bureaux de vote. Les participants au vote devaient être âgés de 18 ans ou plus, tandis que 80 % des votants devaient être résidents de la presqu'île et 20 % du reste de la ville.
Même si le vote n'est pas décisionnel mais simplement consultatif (for reference), il s'agit d'une première à Taipei pour un projet de cette envergure. Une autre consultation a bien eu lieu précédemment, à propos de la piétonisation d'une rue dans le quartier de Gonguang, mais le projet avait été rejeté par les habitants. La procédure de i-Voting, qui devait initialement se tenir en décembre 2015, a finalement eu lieu en février 2016. Elle a réuni 7260 votants avec un taux d'abstention de 65 % parmi les habitants de la presqu'île.
Le projet ayant reçu le plus de votes est le second des trois projets, « Shezidao écologique », avec 60,4 %2.
Une ambition participative limitée
À l'image du faible taux de participation, et ce malgré la situation géographique stratégique du projet, la pertinence des modalités de réalisation de la participation citoyenne peut être interrogée. En effet, si la participation des habitants à la prise de décision est bien réelle, le mécanisme de consultation directe ne leur a pas permis pour autant d'être associés à l'élaboration des propositions qui relève toujours des prérogatives de la collectivité. Ainsi, l’ambition participative de cette expérience démocratique apparaît limitée.
La seule possibilité pour les citoyens de se manifester réside dans les commissions d'Urban Planning et les réunions publiques. Ces dernières ne sont cependant qu’un moment pour la collectivité de communiquer sur les projets, les citoyens qui prennent la parole le font alors surtout pour des motivations politiques souvent sans lien direct avec le projet. Les commissions d’Urban Planning quant à elles sont le lieu de la prise de décision en ce qui concerne tout projet d’aménagement urbain aussi bien porté par le public que par le privé. Ces commissions sont directement inspirées des pratiques anglo-saxonnes, à l’image de l’urbanisme taiwanais en général. Elles sont constituées de membres de la collectivité mais aussi de professeurs d’universités qui donnent leur avis sur les projets présentés. Si les citoyens peuvent y prendre la parole, ils ne sont pas concrètement associés à la conception des projets.
La participation citoyenne et l’utilisation des nouvelles technologies ne sont pas liées à priori mais semblent néanmoins converger, à travers l’exemple taiwanais mais aussi en Europe avec le développement notamment du vote en ligne pour les budgets participatifs de certaines communes (Paris, Rennes etc). Les dernières élections à Taiwan, tant au niveau local (mairie de Taipei) qu’au niveau national (présidence de la république) ont fait émerger des personnalités qui semblent faire de la participation citoyenne une de leurs priorités. La récente nomination d'Audrey Tang, une ancienne hackeuse et fervente avocate de la participation citoyenne, au poste de ministre du numérique3 mais aussi l'utilisation de la Civic Tech à des fins d'attribution des logements sociaux à Taipei4 témoignent d'une certaine vitalité démocratique à Taiwan.
En se développant, l’utilisation du numérique à des fins de dialogue entre l’administration et les citoyens devrait être non sans conséquences sur la manière de fabriquer la ville de demain. Elle pourrait contribuer à rendre compte des usages à la fois existants et projetés mais surtout permettre la participation d'usagers considérés jusqu'à présent comme marginaux.
-
Site internet dédié au i-Voting (en chinois) ↩
-
Plus de détails sur le projet sélectionné (en chinois) ↩