Répartis sur trois quartiers - les Grandes Bornes1, Ampère et la Butte aux Oies - les grands ensembles d’habitat social de la commune comptent 2195 logements2.
Le quartier des Grandes Bornes s'articule autour de trois ensembles de trois tours, ainsi que de bâtiments plus bas situés en périphérie du quartier. Au centre sont situés les équipements publics et le centre commercial. Le quartier Ampère présente une typologie de bâti plus modeste composé d’une vingtaine d’immeubles en R+4 ainsi qu’un front bâti commercial le long de l'avenue Albert-Sarrault. Enfin, le quartier des Buttes aux Oies est composé d'un ensemble mixte de plusieurs immeubles juxtaposés en R+4 ainsi qu'une copropriété de maisons mitoyennes à patio, dites « Les maisons carrées ».
À l'heure du bilan : quelle place a été donnée aux habitants [...] et dans quelle mesure celle-ci a eu un impact sur le projet urbain réalisé ?
À l'instar de quartiers similaires ailleurs en France, ceux-ci ont perdu leur image moderne rapidement après leur construction et sont devenus éligibles à de nombreux dispositifs de la Politique de la Ville, notamment de rénovation urbaine. Bientôt arrivé à la fin du processus, à l'heure du bilan : quelle place a été donnée aux habitants dans l’ensemble de ces transformations et dans quelle mesure celle-ci a eu un impact sur le projet urbain réalisé ? Nous chercherons à y répondre en dressant dans un premier temps un portrait du projet et de ses évolutions, puis l’on analysera les mécanismes de concertation mis en oeuvre et surtout leurs conséquences concrètes sur le projet réalisé.
Trois quartiers, un empilement de projets et de dispositifs
Au début des années 1990, la municipalité de l'époque impulse un premier programme de rénovation urbaine visant à désenclaver le quartier alors « labellisé » Zone Urbaine Sensible (ZUS). Celui-ci est principalement centré sur le quartier des Grandes Bornes, dans lequel se concentraient les difficultés. Le projet prévoit alors la démolition par dynamitage des trois tours de la place Voltaire, l'aménagement d'un parc urbain, la création d'une nouvelle voie routière au cœur du quartier et la reconfiguration du centre commercial dégradé3.
En 2006 le projet est présenté aux habitants [...] et fait l’objet d’un dispositif de communication significatif
Cette première phase de rénovation urbaine ne suffit cependant pas à enrayer le décrochage social du secteur. Suite à la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine de 2003, le quartier ZUS « Grandes Bornes - Ampère - Butte aux Oies » devient éligible au programme national de rénovation urbaine. Un premier projet voit le jour en 2006 et prévoit de dédensifier le quartier avec notamment la démolition de trois autres tours situées au niveau de la place Descartes, représentant 150 logements4. Ces immeubles très dégradés étaient notamment connus pour être une place forte de l'économie souterraine locale. Afin de respecter la règle du 1 pour 15 du logement social, il est prévu la construction de 80 logements sociaux dans le quartier, 27 hors site sur la commune6 et 45 logements sociaux hors commune. Par ailleurs, le projet prévoit la résidentialisation de l’ensemble des immeubles existants, la reconstruction du centre social et des locaux associatifs, la réhabilitation des équipements et des espaces publics, ainsi qu’un plan de sauvegarde pour la copropriété dégradée des « Maisons carrées ». Le projet est présenté aux habitants en amont de sa réalisation et fait l’objet d’un dispositif de communication significatif par voie d’affichage, autour de chaque site réaménagé.
Un projet profondément modifié sans concertation, point de départ d’une mobilisation citoyenne
En 2013, à la suite d’une alternance municipale, il est entrepris de modifier en profondeur le projet initial. Au regard de la forte demande de logements sur la ville, le choix de la nouvelle municipalité conduit à construire un nombre significatif de logements supplémentaires sur site. La commune fait alors appel à l’atelier Castro – Denissof – Associés et le projet évolue profondément, tant en matière de constructions que d'espaces publics.
Ces modifications profondes du projet ne font alors pas l’objet d’une démarche de concertation
Ainsi, le projet remodelé prévoit la construction de 151 logements supplémentaires sur les Grandes Bornes et environ 100 logements supplémentaires dans le quartier Butte aux Oies. Un redécoupage de l'espace public en plusieurs îlots est également prévu, permettant une transition entre le tissu pavillonnaire avoisinant et la typologie des barres d'immeubles. Une certaine mixité est introduite dans les typologies d'habitat.
Ces modifications profondes du projet ne font alors pas l’objet d’une démarche de concertation particulière, en dehors de quelques articles de presse et présentations au conseil de quartier. En dépit d'un tissu associatif riche, ni celui-ci ni les habitants ne sont invités à se mobiliser pour donner leur avis sur le projet.
Toutefois en 2014, les évolutions de la politique de la Ville permises par la loi Lamy de 2014 impliquent l'émergence d'une nouvelle instance indépendante : le Conseil citoyen. Ses premiers membres sont désignés par un tirage au sort. À Goussainville, le choix est fait d'arborer un statut associatif, et de ne constituer qu'une structure pour les deux quartiers prioritaires de la commune7. À ce titre, l'association des Conseils citoyens de Goussainville (A2CG) est composée d'habitants des quartiers prioritaires, d'acteurs associatifs et d’acteurs économiques (artisans, commerçants) implantés dans ces périmètres. Cette instance cohabite avec les conseils de quartier, animés par la municipalité, qui se recentrent sur des actions n’ayant pas trait à la Politique de la Ville et dont le périmètre diffère de celui du secteur de projet.
La mise en œuvre opérationnelle de la rénovation urbaine va générer de nombreux dysfonctionnements au sein du quartier, qui mettent en lumière l'absence de prise en compte de l'avis des habitants et de leurs relais associatifs.
En somme, ni l’objectif de désenclavement du quartier ni celui d’un cadre de vie meilleur n’est atteint
Dès sa création, l'A2CG s'empare des dysfonctionnements causés par le programme de rénovation urbaine. Plusieurs de ses membres résidant le quartier, elle se fait la porte-parole du vécu quotidien des habitants. Une mobilisation sans précédent et un travail de terrain à la rencontre des usagers va alors voir le jour pour identifier les problèmes rencontrés et tenter de faire évoluer le projet. Parmi les requêtes les plus récurrentes, citons le manque de places de stationnement ou la transformation de celles-ci en stationnement résidentiel payant, et les nombreuses incivilités qui en sont la conséquence (casse régulière des portails électriques permettant à certains habitants de se garer gratuitement). Mais aussi, des constructions de nouveaux bâtiments avec peu de recul vis-à-vis des barres d’immeubles existantes.
Ces constructions sont parfois mises en vente en accession à la propriété, et les promoteurs se gardent bien de mentionner sur les maquettes et les vues 3D, la présence de ces « voisins encombrants ». Aussi, des dysfonctionnements se font jour sur la voirie (nouvelles rues étroites, trottoirs non finis obligeant les passants à marcher sur la route, conteneurs à déchets enterrés difficiles à gérer…). Enfin, la desserte en transports en commun du quartier s'est dégradée, puisque les bus qui entraient dans la cité ne peuvent plus le faire que dans un sens en raison de la réduction de largeur de la voirie. En somme, ni l’objectif de désenclavement du quartier ni celui d’un cadre de vie meilleur n’est atteint.
De nombreuses rencontres sont organisées par le Conseil citoyen, qui acquiert une légitimité auprès des différents acteurs de la Politique de la Ville
La situation est ainsi résumée par un habitant d’une quarantaine d’années8 : « Ils ont détruit les tours dans les années 1990 pour aérer les Grandes Bornes et finalement ils construisent partout ».
La presse locale est mobilisée et de nombreuses rencontres sont organisées par le Conseil citoyen, qui acquiert une légitimité auprès des différents acteurs de la Politique de la Ville (Mairie, associations, Préfecture). La réunion publique du 20 septembre 2018 constitue le point d’orgue de cette mobilisation. Elle est co-organisée par le Conseil citoyen et la municipalité qui accepte de jouer le jeu. Durant cette réunion, environ 150 habitants seront présents et exposeront les difficultés induites par ce projet qui ne correspond pas à leurs attentes et dont ils subissent les conséquences. Comme l’indique El-Houssine Ouchani, le Président de l’association, « les gens estiment qu'ils n'ont pas été consultés et que cela mène à cette situation. Beaucoup estiment que le quartier a été défiguré »9.
Suite à cette mobilisation, des avancées sont obtenues : le réaménagement des espaces verts avec la création d’une aire de jeux, l'ouverture d'un nouveau parking, la mise en place d’ateliers urbains, le lancement d’études pour la modification du tracé des voies bus.
Le Conseil citoyen, acteur émergeant des politiques urbaines ?
La rénovation urbaine de Goussainville constitue un exemple de prise en main par les habitants d'un sujet lié à l'aménagement de l'espace urbain. Cependant, la dynamique locale engendrée par cette association intervient relativement tard par rapport au processus de projet : celui-ci étant en grande partie déjà réalisé, les marges de manœuvre de l'association sont restées limitées. Une telle mobilisation mériterait par aileurs de se poursuivre en aval du projet, car la résolution de certains dysfonctionnements n'est pas garantie à ce jour.
Mobiliser les habitants autour des problématiques urbaines est un défi car ces sujets sont souvent perçus comme trop techniques par des habitants qui se retrouvent parfois noyés sous des explications peu vulgarisées et disposent de peu de clefs pour lire et comprendre un plan. Il doit être porté par un noyau dur d'habitants disposant d’une certaine expertise sur le sujet afin de susciter une adhésion plus large. Ces initiatives citoyennes reposent bien souvent sur un petit nombre de personnes ce qui rend parfois difficile la poursuite d'une dynamique sur le long terme.
Les avancées permises par une telle mobilisation demeurent modestes. Il y a fort à penser que celles-ci ne changeront pas la dynamique de fond
La question des moyens, humains mais aussi financiers, se pose également. Les villes sont très souvent les premiers pourvoyeurs de fonds des associations locales via les subventions. Même si le Conseil citoyen constitue a priori un organisme indépendant, dans les faits, une prise de position trop marquée vis-à-vis d'un projet initié par la Mairie peut mettre en difficulté l’association requérante. Dans le cas de Goussainville, le financement de ces actions par un autre organisme que la commune (en l'occurrence la Préfecture), les bonnes relations entretenues avec la Mairie et une bonne dose de débrouillardise des membres de l'A2CG ont contribué à la réussite de la démarche.
Les avancées permises par une telle mobilisation demeurent modestes. Il y a fort à penser que celles-ci ne changeront pas la dynamique de fond qui est en œuvre sur le territoire de Goussainville : une paupérisation lente mais continue de la population, avec une émergence des enjeux liés au logement indigne qui gagne aussi le tissu pavillonnaire (division des pavillons, marchands de sommeil). Bien que des dizaines de millions d’euros aient été investis à Goussainville dans le programme de rénovation urbaine10, le bilan de cette opération est en demi-teinte. Depuis quelques mois, la situation est même particulièrement inquiétante, avec des regains de tension en matière de délinquance, la résurgence de l'économie souterraine qui s’est déplacée au sein du quartier et en dehors, des problématiques de stationnement et circulation toujours présentes. De plus, le manque de suivi et d'entretien du patrimoine bâti et des espaces publics se fait sentir, quelques mois seulement après la fin des travaux, ce qui laisse présager la nécessité d’une nouvelle « rénovation urbaine » d’ici une dizaine d’années …
Il s’agira alors de ne pas reproduire les mêmes erreurs en matière de prise en compte des besoins et des aspirations des habitants. Leur intégration dès la réflexion préalable constituera une donnée fondamentale du processus de projet. À ce titre, il faudra s’appuyer sur le nouvel acteur émergent constitué par le Conseil citoyen, dont la maturité et la légitimité seront accrues. C'est pouquoi l’accompagnement des conseillers citoyens en matière d’ingénierie urbaine constitue un véritable défi, et certainement un nouveau débouché pour les professionnels de la ville.
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Le nom du quartier provient de son implantation au lieu-dit « Les Grandes Bornes ». Il n’existe pas de lien particulier avec le quartier de Grigny dit « La Grande Borne ». ↩
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Contrat Urbain de Cohésion Sociale (CUCS) de Goussainville, 2007. ↩
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« Histoires de quartiers », Ville de Goussainville, 2011. ↩
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Avis de l’Autorité environnementale sur le programme de rénovation urbaine de Goussainville, 2012. ↩
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Le programme de rénovation urbaine impose le respect de la règle de reconstitution de l’offre HLM démolie. Autrement dit, 1 logement social démoli = 1 logement social reconstruit. ↩
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Discours de signature de la convention rénovation urbaine de Goussainville, 2006. ↩
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Goussainville compte deux quartiers prioritaires (QPV) : le quartier dit « Grandes Bornes élargies » qui intègre le périmètre concerné par la rénovation urbaine, et le quartier « des Deux-Gares » composé essentiellement d’habitat pavillonnaire privé. ↩
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Le Parisien, 9 avril 2018, «Goussainville : les nombreuses constructions exaspèrent les habitants des Grandes-Bornes » ↩
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Le Parisien, 28 octobre 2018, « A Goussainville, la rénovation urbaine ne satisfait toujours pas » ↩
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Le coût total du programme de rénovation urbaine s’élève à 131 millions d’euros. ↩