Depuis 2014, cette municipalité francilienne met en œuvre son programme « Arcueil, ville comestible », qui vise à développer en milieu urbain, arbres fruitiers et plantes comestibles, en les rendant accessibles à tous, à moindre prix. Située en proche banlieue parisienne, la commune d’Arcueil compte un peu plus de 20 000 habitants et n’échappe pas à certaines problématiques : difficultés d’accès à l’emploi, coupures urbaines, etc. Mais la commune se distingue plutôt par son soutien à la vie citoyenne et la participation des habitants dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques locales. Permis de végétaliser, jardins partagés, AMAP, épicerie solidaire, pédagogie autour de la transition écologique… autant d’initiatives que la municipalité actuelle, et notamment Simon Burkovic, conseiller municipal délégué aux espaces verts et à la nature en ville, soutient grâce au programme d’actions Ville Comestible, consultable sur internet.
Rendez-vous est donné à Arcueil où nous rencontrons Simon Burkovic. Il nous reçoit au jardin partagé Cauchy, fer de lance d’une initiative locale devenue une référence, qu’il présentait encore le matin même aux services de Plaine Commune, territoire de Seine-Saint-Denis pionnier dans les politiques d’aménagement franciliennes. Tout en répondant à nos questions, l’élu en profite pour saluer des passants, des jardiniers, faire le point sur les dernières récoltes et l’avancement de divers projets qui germent au sein de cette parcelle.
Sur-Mesure : Pouvez-vous nous rappeler la genèse et l’historique du programme Ville Comestible ?
Simon Burkovic : Cette initiative était présente dans le programme sur lequel la municipalité actuelle - de gauche, écologiste - a été élue. Dans le cadre de la fabrique citoyenne du programme électoral, j’ai amené le sujet de la « ville comestible » : le concept a recueilli intérêt et curiosité mais restait encore abstrait. C’est en 2015 au lancement public de la démarche que les choses ont pris un tournant sérieux avec plus d’une centaine de citoyens qui a répondu présent. J’étais notamment inspiré par les écrits de Vergers Urbains sur le sujet. La question de l’alimentation est un enjeu majeur, et l’action autour de cette thématique commence par un programme tel que celui-ci.
Une fois élus, nous avons travaillé avec le directeur des services techniques de la Ville pour la rédaction d’une feuille de route présentée en Conseil municipal en novembre 2014. Cette note posait les enjeux, les objectifs et les jalons du programme Ville Comestible, en définissant à la fois une vision susceptible de transformer la ville à l’horizon 2030, inspirée par le travail de Rob Hopkins, ainsi que des actions concrètes à mener.
Il était important que les citoyens soient placés au cœur du projet : c’est pourquoi le « collectif Arcueil ville comestible » a été créé.
Il était important que les citoyens soient placés au cœur du projet : c’est pourquoi le « collectif Arcueil ville comestible » a été créé. Il s’agissait à l’origine d’un groupe informel qui rassemblait à la fois les élus qui s’intéressaient à la démarche, les citoyens engagés et des acteurs partenaires (Vergers Urbains, Natureparif, Graines de jardin).
La première réunion du collectif a rassemblé 125 personnes en mars 2015 pour présenter et lancer la démarche, grâce à la mise en place d’un réseau efficace et à l’engagement des citoyens et des associations. Une seconde réunion en avril a permis de travailler sur la vision, structurer le collectif et engager les premières actions. Les personnes présentes souhaitaient même commencer à bêcher immédiatement ! C’est pour cela que nous avons identifié le jardin Cauchy qui avait le potentiel pour devenir un démonstrateur. Les premiers coups de bêche ont été donnés en mai 2015.
Sur-Mesure : La démarche « Arcueil, ville comestible » était-elle aussi, selon vous, issue d’une attente des habitants ?
Simon Burkovic : Pas vraiment, je suis arrivé avec mes idées autour de la transition écologique. Je n’avais pas de signal spécifique de la part des citoyens. Les autres élus ont été séduits par la démarche, les thèmes de la ville comestible et l’imaginaire qu’ils véhiculent. La mèche que j’ai allumée a permis de révéler les attentes des habitants : c’était le but recherché !
Sur-Mesure : Est-ce qu’aujourd’hui les actions du collectif correspondent à la vision initialement définie ?
Simon Burkovic : Disons que l’expérimentation et les actions ont permis au collectif de monter en compétence, confronté à des questions évidentes mais auxquelles il peut être difficile de répondre : qu’est-ce qu’un jardin partagé ? Comment lance-t-on une dynamique collective ? Le sujet de la vision est finalement passé au second plan, au profit des actions concrètes. Et on peut dire que cette formule a fonctionné : le jardin Cauchy s’est développé en 2015, et à la fin de l’année un retour a été fait au Conseil municipal, qui a abouti à la création de trois nouveaux jardins, en 2016 et 2017.
Nous avons tous appris à travailler en collectif, moi compris, et avons découvert que c’est à la fois compliqué et extrêmement enrichissant.
Sur-Mesure : Pouvons-nous revenir sur l’apprentissage du collectif par la mise en place du jardin : a-t-il été un moyen de créer du lien, de susciter des initiatives individuelles, d’engager une démarche collective ?
Simon Burkovic : Les membres du collectif ne se connaissaient pas à l’origine, je pense donc que c’est le cas. Nous avons tous appris à travailler en collectif, moi compris, et avons découvert que c’est à la fois compliqué et extrêmement enrichissant.
Il fallait que les projets que nous développions - que les citoyens développent - soient réellement ouverts sur la ville et ses habitants. Nous devions impérativement éviter qu’ils soient privatisés, cachés derrière des grilles au bénéfice de quelques happy fews, comme on peut le voir dans certains jardins partagés à Paris. Nous avons notamment mis en place un système de barrières basses, en bois, qui s’est finalement généralisé sur tous les jardins. Malgré les craintes supposées de cette ouverture des jardins, nous n’avons observé que très peu de dégradations. Je considère cela comme une vraie victoire, contre la tentation de tout clôturer.
Grâce à la popularité des Incroyables Comestibles, l’inspiration majoritaire était tournée vers l’aspect collectif de la démarche. Cependant nous n’avons pu échapper, notamment parmi les jardiniers les plus impliqués, à un effet d’appropriation qui peut conduire au sentiment d’être volé lorsque des citoyens peu ou pas engagés dans le jardin viennent se servir. Pourtant, c’est bien la fonction sociale, et non productive, qui est privilégiée ici. Ensuite, chacun a ses propres raisons de venir au jardin, c’est aussi une question de culture et de ce qu’on projette dans un espace comme celui-ci.
Sur-Mesure : Quel est le rôle aujourd’hui de la Ville dans la coordination et dans le portage de la démarche ?
Simon Burkovic : La Ville a réalisé en tout premier lieu un diagnostic du foncier disponible et des espaces potentiels pour l’installation de jardins partagés, de ruches, d’écopâturages, etc. La collectivité me semble être un acteur incontournable pour développer ce type de démarche. La première année, la Ville a investi 30 000 € pour les infrastructures notamment, et désormais, chaque année, ce sont 70 000 € du budget communal qui sont alloués au programme Ville Comestible, à la fois pour les investissements à réaliser et pour les actions conduites.
Les jardins partagés sont aussi devenu des lieux supports d’expression culturelle et d’accueil d’événements festifs.
Sur-Mesure : Pouvez-vous nous en dire plus sur l’aspect pédagogique du programme ?
Simon Burkovic : En réalité, pour que le jardin fonctionne, il faut pour moi y allier plusieurs dimensions : celles de l’appropriation et de la citoyenneté, l’implication des services, l’aspect ornemental et la thématique de l’alimentation. Les jardiniers de la Ville sont ainsi associés à la démarche. L’un d’entre eux est référent sur ces questions et fait le lien pédagogique avec les écoles de la ville. Les jardins partagés sont aussi devenu des lieux supports d’expression culturelle et d’accueil d’événements festifs. Nous nous appuyons dessus, entre autres, pour accueillir le village d’Alternatiba à la rentrée 2017.
Sur-Mesure : Peut-on considérer que depuis la mise en œuvre de la démarche Ville Comestible, la notion d’ouverture irrigue les autres dynamiques d’aménagement à Arcueil ?
Simon Burkovic : C’est difficile de faire un véritable bilan, car la démarche est très récente. Ce qui est certain, c’est que Ville Comestible influence et oriente les nouveaux projets d’aménagement. Notamment, des végétaux comestibles (arbres fruitiers, plantes odorantes) ont été plantés dans certains espaces publics lors de leur requalification. Nous avons de très bons retours de la part des citoyens !
Personne ne pensait que la démarche prendrait une telle ampleur. Aujourd’hui, Ville Comestible rayonne au-delà d’Arcueil et même au-delà de l’Île-de-France. C’est devenu une véritable vitrine pour la ville. Il faut que cela se poursuive, et que nous continuions de développer le programme, pour permettre de démocratiser la notion de transition écologique et faire prendre conscience à chacun de sa capacité à agir de manière concrète.