Le collectif CARLOS agit à l’interface entre architecture, paysage, urbanisme et art. Sa démarche allie recherche, expérimentation, conception et action.
A la manière du « jardin en mouvement » de Gilles Clément, CARLOS cherche à composer avec l'existant et les dynamiques en présence. Dans cette logique, les aménageurs deviennent des jardiniers. Cette attitude amène le concepteur à ne pas agir en expert planificateur mais en observateur et en médiateur.
D’un territoire jardiné à un territoire exploité
Dans le cadre du concours Europan 14 sur la « ville productive », le collectif a souhaité mettre à l’épreuve sa démarche à Amiens sur le site de la zone d’activité de Montières. Pendant six mois, CARLOS a arpenté et questionné le territoire de la Somme, du littoral de Saint-Valéry aux plateaux agricoles de la métropole d’Amiens. Son attention s’est portée sur le sol, une ressource aujourd’hui sous-estimée.
En s’inspirant de la pratique du ver de terre, CARLOS a développé le projet « cultiver la ville », lauréat du concours, pour repenser la ville productive en partant des sols et des ressources de son territoire.
La théorie du ver de terre face aux logiques du Caterpillar
Bordée au nord par la Somme, la zone d’activité est installée à l’ouest du centre-ville d’Amiens sur un territoire forestier et agricole fertile. Née autour de l’industrie textile, c’est une zone d’activité qui éprouve les limites d’un modèle de production globalisé et déterritorialisé. Les friches industrielles y côtoient des activités commerciales éparses, de grandes surfaces imperméabilisées et des infrastructures viaires hostiles aux piétons. Cette logique d’aménagement vorace, issue de l’urbanisme de zoning, peut s’apparenter aux logiques du Caterpillar. Espèce invasive, le caterpillar transforme radicalement son environnement en détruisant toute forme de diversité.
Par contraste, CARLOS s’est inspiré du modus operandi du ver de terre. Véritable ingénieur des sols, il transforme son environnement et régule directement ou indirectement la disponibilité des ressources pour les autres organismes. Le lombric soutient les processus biologiques, chimiques et physiques du sols et indirectement des villes.
Oubliés sous les revêtements urbains, les sols des villes sont aujourd’hui réduits à une fonction de support physique. Ils jouent pourtant un rôle fondamental en tant que milieux de vie, producteurs de biomasse et régulateurs hydriques et climatiques. Au sein du projet, les actions empruntées au lombric sont simples et favorisent l’émergence d’une « ville productive » : perforer, infiltrer, relier, redimensionner, diversifier et cultiver.
Du zoning à la fabrique de la ville : le sol et ses ressources
Le projet propose de renverser les logiques de production fondées sur les seules lois du marché. Au lieu d’importer de nouvelles activités, il s'agit de partir des ressources en place (de l’espace, de la matière, des matériaux, des acteurs et des initiatives locales) et de favoriser leur mise en relation. La construction du projet est jalonnée par des temps de concertation et d’expérimentation sur le terrain. C’est un laboratoire de recherche vivant sur le sol, les ressources et les cycles dont dépendent le fonctionnement de la ville d’Amiens.
Au-delà de Montières, les actions menées s’inscrivent dans un projet de « territoire fertile ». La recomposition du parcellaire, le tissage des cheminements de l’eau, des espaces de productions et les acteurs du territoire constituent les outils du projet, qui met en place un maillage de lieux de vie productifs qui se développe en trois étapes :
- Pour commencer, une étape de concertations et de constructions à petites échelles pour infiltrer, perforer et relier dès demain la zone d’activité
- Ensuite, une étape de négociation pour redimensionner les parcelles et diversifier les activités en place
- Enfin, une troisième étape de consolidation vise à habiter et à cultiver les nouvelles terres de Montières.
Infiltrer, perforer et relier les espaces et les ressources de Montières
Lors de la première phase, CARLOS invite les institutions, écoles et acteurs du territoire à co-construire le projet pour développer une meilleure connaissance et prise en compte des sols urbains. Le collectif lance une série d’ateliers participatifs, pour lancer la dynamique de projet, ré-ouvrir certains sols inertes (par exemple l’espace Alliance Immochan) et créer de nouveaux cheminements vers le bois de Montières et les rives de Somme.
Le travail sur le terrain a pour visée d’infiltrer le site, de répertorier les usages, l’état et la quantité des ressources disponibles et d’ajuster le projet avec les partenaires. Ces premières interventions permettent ainsi de préparer le terrain et de préfigurer les transformations futures.
Redimensionner et diversifier : l’exemple du jardin de la Somme
La seconde phase du projet vise à diversifier et redimensionner le tissu urbain de Montières. Elle s’appuie sur la mise en place d’un réseau d’infrastructures productives, comme le parc de phyto-remédiation du jardin de la Somme. Ces espaces associent alors lieux de production, de transformation et de consommation.
La mise en évidence de l’imbrication des espaces, des activités de productions et des acteurs rend visible les processus de production nécessaires au fonctionnement quotidien de la ville. Le projet tisse alors des continuités entre les espaces bâtis existants et les composantes du paysage (le bois, la Somme et l’île Sainte-Aragone) et propose d’instaurer les conditions nécessaires pour habiter Montières.
Habiter et cultiver les nouvelles terres de Montières
La troisième phase s’appuie sur le réseau d’espaces ouverts productifs mis en place dans les phases 1 et 2. Elle vise à habiter le territoire productif de Montières en implantant de nouveaux logements en lien direct avec les activités. Dans le quartier, les habitants et les visiteurs sont invités à prendre part à la production, la transformation et la gestion du quartier au quotidien.
Longue vie aux vers de terres !
Le projet « Cultiver la ville » invite à dépasser les logiques d’aménagement purement géographiques, technologiques ou administratives qui fragmentent les villes. Il propose de partir des conditions du terrain et de ses ressources pour permettre la transition entre un territoire exploité et un territoire jardiné.
Depuis décembre 2017, la ville d’Amiens a organisé un premier atelier de travail pour imaginer les suites du concours ainsi qu’une promenade urbaine avec les habitants d’Amiens pour compléter la vision des enjeux du réaménagement de ce site. Affaire à suivre ...