Le workshop se déroulait en deux temps : une matinée pour poser un diagnostic autour de 5 thématiques croisant les enjeux de la « révolution numérique » et de la fabrique urbaine. Une après-midi pour formaliser des concepts programmatiques et donner forme urbaine et sociale à la nébuleuse « ville numérique ».
Le diagnostic thématique, débats et récits des enjeux
Au cours de la matinée dense en échange, les vingt cinq participants répartis en groupes autour des 5 tables, planchaient à tour de rôle sur les thèmes suivants :
- La “révolution numérique” et l'homo numericus en ville : les nouvelles formes d'intelligence collective de la "cité", ou société civile en ville.
- Low Tech et High Tech : de l'évolution des usages à celle des méthodes de conception en mode projet et des formes urbaines.
- Datas, marchés et nouveaux modèles économiques : le renouvellement des modèles économiques et des objets de la "fabrique urbaine".
- Les fonctions métropolitaines : les nouvelles fonctions urbaines offertes par le numérique qui donnent sens à la notion de système métropolitain.
- Fractures numériques, frontières symboliques : la réduction des fractures sociales dans l'accès à la sphère numérique et le décloisonnement de nouvelles frontières symboliques.
Par séquence d'une demi-heure, les participants étaient chargés de définir leur compréhension du sujet en tentant de répondre à ces questions génériques :
Quoi ? (quelle est votre compréhension du sujet ?); Pourquoi (quels sont les problèmes à résoudre ?); Qui ? (qui est concerné par ce sujet et ces problèmes ?) Où (quel est le contexte géographique concerné ?); Comment (quelles sont les pistes d’actions possibles pour résoudre ces problèmes ?); Pour quoi (quels sont les objectifs visés ?).
En résumé :
Homo numericus : Le diagnostic posé dresse un constat paradoxal. Si de nouvelles libertés d’action, d’initiative et de parole sont offertes à l’individu par les moyens du numérique – la sphère numérique, ses réseaux et ses outils – l’homo numericus n’a pas encore, pour autant, pris complètement possession des territoires multiples et des dimensions offertes par le développement de son identité numérique, dépendant de logiques algorithmiques qui lui échappent en partie. Comment dès lors, créer des processus vertueux d'intelligence collective ?
Low Tech / High Tech : La ville High Tech qui naît de la technologie numérique peut être décrite comme une ville paramétrique. C’est la ville conçue et programmée hier par les logiciels de CAO (conception assistée par ordinateur), aujourd’hui par les modèles d’intégrations des datas dans le BIM (Building Information modeling). Mais la performance technologique tend à déposséder l’homme de ses capacités réelles de maîtrise et d’usage de son outil de travail. A contre-courant, n’est-ce pas le sens de la démarche low tech, que de chercher une forme de réappropriation de ces ressources, avec une économie de moyens ?
Data et économie : Les datas sont devenus le nouvel or noir de la troisième révolution industrielle dite « numérique ». Elles sont captées et échangées sur un marché opaque qui alimente pourtant le développement de nouveaux services urbains, de produits « calculés au plus près » de l’identité du consommateur, et de nouveaux modèles économiques. Mais les datas sont, avant tout, des unités d’informations, groupées en jeux de données. Comment rendre l'utilisation des datas plus transparente, et leurs usages plus appropriables ?
Nouvelles métropoles : Le système métropolitain est un terme vaste qui demande à être redéfini par ses fonctions urbaines fondamentales : habitat, économie, mobilités, culture, connaissance, loisirs… la définition du système de « rayonnement » métropolitain peut être longue. D’autant que ces fonctions urbaines renvoient à l’image d’une ville-silos, celle que la « ville numérique » tente de décloisonner, en hybridant les offres de biens et de services, les échelles du local et du global, les rôles des acteurs traditionnels. Quelle forme peut prendre, alors, le système de gouvernance de cette ville intangible ?
Fractures et frontières : Les outils numériques offrent de nouvelles capacités de dialogue et d'action, permettent le développement de nouveaux services, de nouvelles techniques, qui portent aussi leurs propres potentiels de fractures : dans le contrôle à l’usage des datas, dans la maîtrise des techniques de production, dans la capacité d’appropriation des objets, des lieux et des « laboratoires » de la ville numérique. Comment donc impliquer les individus dans un processus d’appropriation qui les concerne, mais dont les enjeux collectifs leurs échappent encore ?
La session de programmation urbaine, restitution en synthèse
Après avoir décliné les grandes lignes du diagnostic thématique, les participants se sont regroupés en deux équipes pour plancher sur deux concepts programmatiques, esquissant une réponse concrète aux enjeux et questions posées dans la matinée, à partir de 7 axes programmatiques :
- Nature du lieu, rayonnement, réseaux
- Ecosystème, filières, implantations
- Sites, formes urbaines
- Vocations, activités, publics
- Usages, espaces, mobilier
- Infrastructures, outils
- Modèle économique, gouvernance, gestion
Les deux concepts développés sont très différenciés, et répondent chacun à une préoccupation dominante, un crédo, une vocation urbaine et sociale spécifique.
Concept 1 : La « Halle numérique »
Partant du constat d’une déconnexion entre la sphère numérique et la sphère réelle dans l’espace public, l'équipe 1 a imaginé un lieu dédié au développement de l’initiative citoyenne, ouvert à tous. La « Halle numérique » est un espace hybride conçu pour favoriser les rencontres physiques et numériques dans un lieu configuré à cet effet, qui revisite le thème du marché ouvert, de la halle de plein vent, qu'il atomise en lui donnant la forme d’un « cloud couvert ». A l’image d’un forum qui déploierait sa propre arborescence, cette halle se construit et se remplit au fur et à mesure que l’activité s’y installe.
Le lieu se compose ainsi de différents stands et de petits boxs, dont la disposition et la forme est évolutive et modulaire, en fonction des usages qui s’y développent. Ce lieu physique, possède, en miroir, son site et son réseau social numérique, avec son trombinoscope et sa revue de projets. La halle numérique fonctionne ainsi comme un ascenseur mécanique : elle fait descendre dans le monde matériel la réalité concrète des projets, et remonter dans la sphère immatérielle l'expression de l’initiative citoyenne. Ou bien serait-ce l’inverse ?
Concept 2 : « Ouvrir la boîte noire »
Pour l'équipe 2, il s’agit d’ouvrir la boîte noire du numérique pour mettre ses ressources à disposition de tout un chacun. Dans la boîte noire on trouve : des datas, des algorithmes, des modèles économiques, des systèmes techniques. Ouvrir la boîte conduit à hybrider plusieurs « datas lieux » autour de deux axes principaux : un axe « médiation », incarné par le principe de « l'info lab ». Et un axe « accélérateur de projet », proche de l'incubateur. Ce projet est porté par une communauté d’acteurs issus de la société civile. En atterissant sur un territoire dédié, il prend la forme d’un « quasi-lieu », dont l'activité et l'agencement s’adapte pour chaque site à la demande sociale.
Ce « quasi-lieu », s’adresse à plusieurs types d'acteurs, partageant un intérêt commun : le citoyen contributif, qui souhaite monter en compétence au niveau de ses capacités d'usage des outils numériques ; le porteur de projet, l’entrepreneur, qui souhaite disposer de conseils et d’un accompagnement sur-mesure pour la mise au point de son modèle économique, de son interface numérique ; le professionnel de la donnée, l'ingénieur, qui souhaite accéder à des jeux de datas, pour ressourcer son activité ; l’acteur traditionnel de la fabrique urbaine, qui veut tester ses modèles, rencontrer des panels d'utilisateurs. Ce quasi-lieu est doté d’un siège physique, muni de matériel et de ressources numériques et informatiques. Il est animé par des membres actifs. Ses activités peuvent être développées à l’extérieur, venir se plugger comme des mini-labs ou s’insérer ponctuellement dans une entreprise privée, à laquelle il transfert des services. Le projet d'ouvrir la boîte noire développe ainsi naturellement son propre écosystème économique.
A suivre : la restitution complète de l'atelier est a retrouver dans un cahier dédié de la revue papier.