À la campagne comme à la ville, d’un point A à un point B, l’être humain motorisé alterne entre vitesse et stationnement. Les routes au goudron lisse le guident dans ses déplacements. Les zones de stationnement et infrastructures routières, toujours plus nombreuses, rythment aujourd’hui le paysage de nos régions. Mais, malgré la variété des types de véhicules disponibles, il est toujours nécessaire à l’être humain de faire usage de la bipédie.
En 2017, lors de mon master en communication visuelle, mon mémoire intitulé Espace intermédiaire s’intéressait aux questions sociales, politiques, culturelles et économiques des villages ruraux et villes périphériques françaises. En parcourant régulièrement la Loire-Atlantique, les Deux-Sèvres, la Vienne et la Vendée, j'ai constaté qu'un même schéma se répétait presque inéluctablement : l'étalement urbain, la paupérisation des centres et le malaise citoyen que ces phénomènes provoquent. En ajoutant à cela le marketing territorial qui uniformise chaque ville (tout en tentant paradoxalement de les différencier), une prise de conscience globale des usagers émerge et se manifeste par des mouvements locaux et sociaux autour des notions d’identité et d’utilité des espaces.
Les directions, les vitesses autorisées, ou les points d’arrêts le long des voies imposent et génèrent une aveugle dépendance au service du consumérisme et de l’hyperproductivité.
À l’occasion de mon projet de fin d’études, j’ai prolongé cette recherche autour des infrastructures qui dessinent nos paysages quotidiens : les espaces de circulation et les espace de pause. La manière standardisée de concevoir l’espace urbain des dernières décennies ne nous laisse aucune alternative quant à son appréhension. On se rend vite compte que les infrastructures les mieux entretenues desservent au choix : centres-commerciaux, zones industrielles ou centres d’activités professionnelles. Les directions, les vitesses autorisées, ou les points d’arrêts le long des voies imposent et génèrent une aveugle dépendance au service du consumérisme et de l’hyperproductivité.
Ce travail de recherche s'inscrit à Magné, commune de 2 671 habitants, où j’ai grandi, à deux pas de Niort, aux portes du Marais Poitevin dans les Deux-Sèvres (2018-2019)
Alors en dehors des heures d’affluence comment pouvons-nous penser ces espaces aux fonctions bien identifiées, entre le privé et le public, communs et partageables ?
Je propose ici de les considérer tels qu’elles sont, au-delà de l'usage que nous en avons et des besoins que nous y projetons. Venir ici est une expérience. S’arrêter là où l’on ne s’arrête plus. Observer son environnement, interagir naturellement avec ce qui nous entoure et y projeter de nouvelles perspectives. Les mécaniques d’urbanisation des campagnes sont rodées, automatisées et standardisent nos paysages. Il est alors important de les vivre tels qu’ils sont et d’y envisager un potentiel espace de création, de vie ou d’expression.
En captant mes déplacements au sein de ces espaces où, sans véhicule, l’Homme trouve difficilement sa place, j’ai également cherché à questionner le rapport d’échelle entre l’être humain et les structures dont les usages lui sont à l’origine dédiés.
C’est à pied que j’arpente alors ces espace transitoires à la fois utiles et stériles. Ces différentes déambulations sont pour moi une manière de vivre ces infrastructures et de les rendre visibles, de questionner notre rapport à ces espaces dignes d’être remarqués, d’en révéler la fragile nature : mêlant réalité spatiale et sentiment d’usages subis. En captant mes déplacements au sein de ces espaces où, sans véhicule, l’Homme trouve difficilement sa place, j’ai également cherché à questionner le rapport d’échelle entre l’être humain et les structures dont les usages lui sont à l’origine dédiés.
Déambulations, reportage photographique, randonnée dans l’entre-deux avec les habitants et exposition de leurs paroles in situ forment ensemble un corpus traduisant ce questionnement personnel intimement lié aux espaces que j’ai toujours pratiqués.
Un jour de semaine, 18h.
Le parking est encore complet et le ballet des véhicules ininterrompu. Installé à l’entrée du village, le long de la RD9, j’observe le supermarché convoité à cette heure de pointe par les employés des assurances niortaises qui rentrent chez eux. Les arrêts de bus, eux, sont vides malgré la gratuité des transports en commun de l’agglomération. Dans le centre, les trottoirs ont été réhabilités pour faciliter l’accès aux personnes à mobilité réduite. Pourtant, eux aussi déserts puisque le Bar-Tabac-PMU du bourg, la banque, La Poste et la pharmacie ont migré vers la nouvelle ZAC (Zone d’aménagement concerté), juste en face du géant de la grande distribution. Magné subit comme la majorité des petites villes les effets du regroupement des activités commerciales en un seul lieu positionné en périphérie. Le design systématique de ces espaces et les formes qui en surgissent ne nous laissent d’autres choix que de subir la manière dont on nous devons faire usage.
Sans but, j'erre alors parmi les structures et petit à petit ces espaces deviennent pour moi de vastes terrains de jeux.
Le lendemain, dans la journée.
Malgré le calme et la nature environnante, se promener à Magné provoque souvent une sorte d’inconfort. L’axe principal est certes équipé de trottoirs, mais il arrive régulièrement le long des axes connexes, de marcher sur la chaussée ou près du fossé qui sépare l’enrobé des champs avoisinants. Plus loin se dessine un rond-point avec ses panneaux de signalisation au bleu électrique. Là, le parking laisse une vaste étendue sombre et lisse jusqu’à l’horizon, avec au centre les lampadaires grâce auxquels la nuit devient plus claire…
Personne aux alentours. Sans but, j'erre alors parmi les structures et petit à petit ces espaces deviennent pour moi de vastes terrains de jeux. Les espaces se transforment en un matériaux pour la création. L’immobile chariot devient un bruyant partenaire pour quelques pas de danse. Interagir avec cet environnement y insuffle une nouvelle perception, de nouveaux usages.
Devons-nous construire autrement ou investir le bâti existant dans ces interstices temporels ?
Sans aller directement à contresens de l’utilisation commune, ces actions visent à questionner nos habitudes et me permettent de lutter contre la monotonie des espaces traversés et les usages que nous en avons. Devons-nous construire autrement ou investir le bâti existant dans ces interstices temporels ? Ces déambulations constituent, entre autre, un moyen de contestation et si elles naissent d’un sentiment personnel et spontané, elles font à cet instant acte de résistance. Elles déterminent par la présence du corps dans l’espace une poétique vision de ces entre-deux qui à l’objectif paraissent immuables.