Des architectes nous invitent à suivre ici l’aventure d’un village martiniquais, en première ligne de l’exposition aux risques naturels et aux dérèglements climatiques. Un journal qui s’écrit tout au long d’une année, dans les premiers pas de renouveau du bourg. Une somme d’itinéraires intimes qui construit un projet collectif exemplaire.
Vers la refondation spatiale et symbolique d’un bourg martiniquais
Comment s’imaginer un futur sur un territoire exposé de plein fouet au changement climatique, fragile par son économie et sa trajectoire démographique vieillissante et où la mise en sécurité des habitants n’est jamais que relative ? L’enjeu, en dehors de toute procédure de relogement, est d’abord de co-construire une vision partagée du territoire capable d’intégrer les initiatives individuelles dans leur diversité tout en étayant une approche collective garante d’intérêt général.
Ainsi, sur l’année 2019, les habitants ont été invités à imaginer comment quitter le « bleu » (le littoral) pour habiter le « vert » (les hauteurs, un paysage inédit pour nombre d’entre eux) en abordant simultanément l’échelle stratégique et l’adaptation de court terme. En 2020, le projet entre dans une seconde phase tournée vers le prototypage de dispositifs alternatifs.
Définir des solutions de relogement dans une perspective de résilience et d’autonomie relative
Une vision commune : la coproduction du plan-guide
Exposé à une multitude de risques liés au changement climatique et à sa situation sur les flancs Nord-Ouest de la montagne Pelée , le bourg du Prêcheur1, déjà reconstruit à deux reprises au XXeme siècle, doit à nouveau repenser son rapport au territoire. S’appuyant sur son conseil de démocratie participative2, la commune3 porte depuis 2018 un projet expérimental de « maitrise d’œuvre architecturale, urbaine et sociologique » pour définir des solutions de relogement dans une perspective de résilience et d’autonomie relative. Sur ces terres volcaniques, en première ligne du changement climatique mais extrêmement fertiles, le projet relève de la stratégie de long-terme définie avec les habitants et les agriculteurs mais aussi du processus de mutation, pratique comme symbolique.
Croisant ces deux dimensions et reformulant la commande initiale, le plan-guide a fondé la nécessité de préserver la multipolarité du territoire. Sur ces mornes cultivés et habités jusque dans les années 1960 dans toute leur profondeur, l’occupation du littoral (aujourd’hui majoritaire) n’est que l’héritage précaire de l’époque moderne. S’inspirant d’un « nomadisme local4 », la consolidation de trois polarités aux histoires et profils sociodémographiques contrastés5 a été explorée selon trois axes stratégiques : la non-concurrence entre agriculture et « urbanisation6 », une autonomie relative des quartiers pour leur fonctionnement (alimentation, énergie, eau, assainissement) et la mise en place d’un réseau d’espaces publics et cheminements (les nouveaux « wets ») reliant les mornes et traduisant dans le paysage le renforcement des liens de solidarité entre quartiers à l’heure sensible de la refondation.
Deux opérations pilotes : un « habitat renouvelé » et une école refuge
Pour pallier l’obsolescence et la dangerosité de l’actuel groupe scolaire, la construction d’une école-refuge donne l’occasion d’intervenir dans « la cité », quartier de logements sociaux jamais réellement intégré au bourg, où se concentre la jeunesse du Prêcheur7. Dans un contexte spatial et financier très contraint, un projet de renouvèlement urbain émerge. Intensément discutée, l’étude de faisabilité architecturale et urbaine fera consensus, à la condition d’associer le futur bâtiment à la refonte des espaces publics et d’en mutualiser une partie des programmes avec les activités communales. L’installation de l’école au cœur des immeubles de logement social est désormais assumée en tant que réconciliation entre quartiers et le déménagement de l’équipement, pensé comme une fête communale, est prévue pour être l’un des actes premiers de la refondation du bourg8.
Un relevé architectural et socio-anthropologique des logements existants a donné jour à un « atlas des modes de vie », outil de description, d’analyse critique et de dialogue avec les habitants
En parallèle, au gré de plusieurs semaines de présence au Prêcheur, un relevé architectural et socio-anthropologique des logements existants a donné jour à un « atlas des modes de vie », outil de description, d’analyse critique et de dialogue avec les habitants. Le croisement de cet atlas avec le plan-guide de refondation pose les bases de typologies urbaines et architecturales inhabituelles, culturellement adéquates, soumises dans le cadre d’un concours d’idées à 10 équipes de concepteurs. Permettant de progresser dans les échelles et dans la définition des dispositifs, ce concours9 vers un « habitat renouvelé » ouvre des pistes offertes à l’expertise des opérateurs du logement et les filières émergentes. Dans ce processus, beaucoup reste à inventer, des modèles économiques aux évolutions normatives et règlementaires en passant par l’accompagnement à l’autoconstruction/promotion. En ligne de mire désormais : la réalisation de prototypes de logements et la préfiguration d’espaces publics.
Le littoral, une nouvelle figure territoriale
À terme, la destruction des logements exposés aux risques et la récupération d’espaces et équipements publics permettra de mêler de nouveaux lieux de vie collective à une renaturation partielle de la côte et du lit majeur de la rivière. S’écrit peu à peu, au sein d’une géographie en mouvement, un nouveau littoral aux contours instables, protecteur et prodigue en nouveaux usages compatibles avec les risques. Dans cette matrice de paysage émergente se joue le renforcement du littoral par ralentissement de l’érosion, la reconstitution de milieux, la relocalisation d’usages chassés par le recul du trait de côte (pêche), l’accueil d’un tourisme non prédateur ou encore l’intégration d’unités de production de matériaux (utilisant notamment le substrat transporté par les lahars). Autant de lieux à inventer, à articuler et à entremêler aux traces des quartiers déconstruits, une manière d’esquisser les contours d’une mémoire collective.
Autant de lieux à inventer, à articuler et à entremêler aux traces des quartiers déconstruits, une manière d’esquisser les contours d’une mémoire collective
Chapitre 1 - décembre 2018
Où l’on prend la mesure de l’importance du rivage
Chapitre 2 - février 2019
Où une table-ronde des présidents de quartier donne le « la »
Chapitre 3 - décembre 2018
Où l’on décrit ensemble un art (et une difficulté) d’habiter
Chapitre 4 - décembre 2018
Où l’on découvre les défis d’une agriculture ancestrale
Chapitre 5 - février 2019
Où les enfants deviennent ambassadeurs du projet
Chapitre 6 - février 2019
Où l’école-refuge devient un projet de renouvellement urbain
Chapitre 7 - mai 2019
Où l’on découvre une pierre magique
Chapitre 8 - mai 2019
Où les habitants se la racontent
Chapitre 9 - juillet 2019
Où l’on quitte le bleu pour découvrir le vert
Chapitre 10.1 - juillet 2019
Où des architectes (étonnés) découvrent des habitants (curieux)
Chapitre 10.2 - juillet 2019
Où des habitants (enthousiastes) découvrent des architectes (en ébullition)
Etude de maîtrise d’œuvre urbaine, paysagère et sociologique du Prêcheur
Stratégie territoriale et paysagère déclinée en plan-guide, prototypage de nouveaux logements et faisabilité d’équipements publics, conception et préfiguration d’espaces publics / projet en cours Commanditaire : Ville du Prêcheur, Martinique (depuis 2018), avec l’appui de la DEAL Martinique et du PUCA Equipe : Antoine Petitjean, Laure Thierrée paysagiste, Mélodie Vidalain - Monono (socio-anthroplogie), (APM) & associés, Kant é Kant (architectes associés), Ingéfra (Bureau d’études VRD).
Montée du niveau de la mer, houle cyclonique, séismes, glissements de terrain, liquéfaction des sols, inondations et surtout coulées de boues d’origine volcanique - les lahars ↩
Mis en place dès 2014 par l’équipe municipale et dans le sillage de la dynamique de projet enclenchée dès 2015 ↩
En relation et avec le soutien de la DEAL et du PUCA ↩
Au prêcheur on est alternativement agriculteurs et pêcheurs en fonction des saisons et des histoires familiales ↩
Le centre-bourg, l’Anse Belleville et le Morne Folie ↩
Le projet urbain se fait, fans cette perspective, une déclinaison du Projet Alimentaire Territorial porté par l’association Cols Verts à l’échelle du Nord-Ouest martiniquais ↩
La moitié des enfants scolarisés habitent « la cité » et la majorité des jeunes foyers, souvent monoparentaux ↩
L’école-refuge, financée pour partie sans le cadre du Plan Séismes Antilles (Fonds Barnier) donnera lieu à un concours de maîtrise d’œuvre courant 2020 ↩
Baptisé par le PUCA « Opération d’Habitats Renouvelés en Outre-Mer » (OPHROM). Le jury s’est tenu mi-février 2020, récompensant quatre équipes et en citant trois. Un workshop local est prévu afin de poursuivre la discussion avec les habitants, les maîtres d’ouvrages potentiels et les filières émergentes de construction ↩