Depuis plusieurs décennies, les métropoles françaises tirent la croissance démographique de la France. La métropolisation n’est pas une nouveauté mais elle a pris un sens inédit avec la crise économique dite des subprimes de 2008, entraînant un surcroît d’attractivité des métropoles les plus dynamiques. Elle s’est ensuite institutionnalisée avec la réforme des collectivités territoriales de 2010, puis la loi MAPTAM1 de 2014. Les métropoles deviennent ainsi les fers de lance des choix d’aménagement du territoire, confrontées à de nombreux défis environnementaux, sociaux et économiques. Elles concentrent la richesse nationale tout en étant les plus grosses consommatrices en ressources naturelles.
Comparer les grandes dynamiques résidentielles des huit principales agglomérations de France, qui totalisent chacune plus de 900 000 habitants, permet ainsi d’en saisir les enjeux pour l’avenir. Existe-t-il des métropoles modèles ? La métropole parisienne, seule « ville globale » française, peut-elle servir d’exemple ?
Des métropoles régionales qui gagnent du terrain
Entre 2009 et 20142, la croissance combinée des huit principales métropoles françaises était supérieure de 1 point (soit 3,5%) à la moyenne nationale (2,5%), démontrant leur rôle moteur dans l’augmentation de la population nationale ; leurs gains représentent un volume de 747 000 habitants, soit la moitié de cette hausse. Les huit plus importantes métropoles françaises comptaient ainsi 22,1 millions d'habitants en 2014, soit un tiers de la population nationale. Mais ce portrait de famille des métropoles cache des dynamiques individuelles extrêmement contrastées...
Quelles sont les métropoles attractives ?
Paris, l’unique métropole globale de l’hexagone, ne tire pas sa croissance, contre toute attente, des entrées sur son territoire, mais d’une natalité élevée. Son solde naturel, le plus haut de France (+0,9% par an), compte tenu de la plus forte natalité des populations immigrées dont la métropole est un des principaux sas d’entrée, compense plus que largement le départ des populations vers la Province (ce déficit migratoire est de - 0,4% par an entre 2009 et 2014). Paris, attractive pour les jeunes actifs, devient répulsive au moment où se construit la vie de famille et, plus encore, la retraite.
Parmi les métropoles régionales, Marseille – Aix-en-Provence est dans une situation similaire, avec un déficit migratoire un peu plus modéré (- 0,2% par an entre 2009 et 2014). Touchée par un niveau de chômage relativement important (15,7% contre 14,1% en 2009), elle souffre, depuis la désindustrialisation, d’un déficit chronique en termes d’emplois et ne retient donc pas assez les jeunes actifs. Il en va de même dans la métropole de Lille, qui connaît un déficit migratoire à hauteur de - 0,3 % par an. Son taux d’emploi, encore trop faible, consécutif à la désindustrialisation, entraîne ainsi le départ d’une partie de la population. Cependant, une natalité soutenue (+ 0,8% par an), soit l'un des plus hauts taux de nos huit métropoles, liée à un catholicisme plus prégnant chez les familles ouvrières, continue de tirer la croissance démographique de cette métropole européenne en plein renouvellement. En-dehors de ces trois métropoles relativement répulsives, quatre autres métropoles régionales parviennent à attirer les populations extérieures : Lyon, Toulouse, Bordeaux et Nantes. Enfin, Nice, traditionnelle terre attractive, ne l’est plus aujourd’hui.
Le facteur démographique n’est cependant pas nécessairement le gage d’un développement urbain « durable » du territoire.
Les grandes métropoles régionales ont donc acquis une attractivité plus importante que la région parisienne, corrélée à l’évolution de l’emploi, les taux variant de façon parallèle. L’emploi à destination des profils de populations sortantes et arrivantes est donc un enjeu majeur pour maintenir l’attractivité des métropoles. Toutefois, le facteur démographique, révélateur de l’attractivité d’une grande ville, n’est cependant pas nécessairement le gage d’un développement urbain « durable » du territoire.
Un risque d’étalement urbain non contrôlé
L'étalement des tâches urbaines métropolitaines, celles que nous voyons en surplombant leurs cartes, prend des formes différentes selon les territoires. Il relève à la fois des « choix résidentiels » des habitants ; de la nature et du prix des terrains et des murs face aux ressources des ménages et, enfin, de la tradition architecturale locale. Comparer les densités urbaines de nos huit métropoles, en distinguant le tissu des villes-centres de celui de leurs banlieues et de leurs espaces périurbains, s’avère alors très instructif.
La forme urbaine de l’habitat, un étalon pour la densité
C’est un fait connu, Paris intramuros est la ville-centre la plus dense de France (21 066 personnes au km²), la seconde étant Lyon (10 583 pers./km²) et la troisième Lille (6 715 pers./km²). Les deux premières se composent de plus de 95% d’immeubles collectifs : Paris, en raison de l’urbanisme haussmannien et Lyon, de l’héritage d’un habitat ouvrier textile.
Le cas lillois est différent. Le collectif n’y représente que 77% du tissu de logements, car, singularité locale, il comprend pour un cinquième des maisons mitoyennes construites tout en hauteur, dans la pure tradition flamande (même si les nouvelles opérations, type Euralille, privilégient systématiquement le collectif). De façon analogue, Bordeaux est assez densément peuplée, alors qu’elle contient près d’un quart de maisons individuelles (23,5%), les fameuses échoppes bordelaises et leurs dérivés. Un taux qui va probablement baisser dans les prochaines années sous le poids des nouvelles opérations.
Ces quatre communes presque totalement urbanisées se présentent donc comme les plus denses de nos huit villes-centres métropolitaines. Elles devancent Nice (91,6% d’immeubles et 4 781 hab./km²) et Marseille (3566 hab/km²), deux villes à la topographie contrainte. Enfin, Nantes (4 571 hab./km²) et Toulouse (3 941 hab./km²) se caractérisent par une densité également moindre, du fait de leur étalement pavillonnaire plus important à l’intérieur même de la ville-centre.
La plus faible densité parisienne provient quant à elle de l’extension de son aire urbaine qui s’étend jusque dans des espaces ruraux peu densément peuplés.
Ce qui vaut pour le centre, vaut-il pour les couronnes périphériques, les plus sujettes à l’étalement ? Avant d’y répondre, rappelons que cette étude est dépendante des délimitations des aires urbaines de l’INSEE, qui sont contestables, certaines paraissant plus larges que d’autres (par exemple Lyon par rapport à Lille), ce qui peut biaiser la comparaison.
Ceci posé, selon ces données, la densité la plus forte concerne la périphérie lilloise (1 064 hab./km²) devant la région parisienne (600 hab./km²), alors même que la maison individuelle y est presque deux fois plus répandue (66% contre 37%). Le modèle type du « carré » de bâtiments en bande – aligné, étroit au sol, ordonné – typique des Flandres et des cités ouvrières, très économe en espace, constitue ainsi une sorte d’exception française. La plus faible densité parisienne provient quant à elle de l’extension de son aire urbaine qui, en raison de la puissance du marché de l’emploi parisien, s’étend jusque dans des espaces ruraux peu densément peuplés.
Vient ensuite la densité moyenne de la périphérie de Marseille Aix-en-Provence (302 hab./km²), faite d’un tissu de villes satellites industrielles au bord de l’Étang de Berre et d’un considérable mitage résidentiel dans la campagne provençale. Les périphéries de Lyon (294 hab./km²) et de Nice (263 hab./km²) paraissent quant à elles moyennement denses, en raison du relief irrégulier dans lequel elles s’insèrent.
Enfin, les périphéries les plus lâches se retrouvent dans les couronnes de Nantes (190 hab./km²), Bordeaux (170 hab./km²) et Toulouse (160 hab./km²), connues pour leur étalement, voire leurs marées pavillonnaires. Elles connaissent, de plus, depuis plusieurs décennies des pics de croissance, avec le phénomène des « boomburbs » (par exemple, Sainte-Luce-sur-Loire, Plaisance-du-Touch ou encore Balma). Toulouse, qui a connu une explosion démographique post-Trente Glorieuses, n’a pas mis de frein à l’urbanisation pavillonnaire galopante.
Ces rapports de densité sont révélateurs des modes de développement des métropoles en croissance. Le manque de maîtrise de leur urbanisation entraînant souvent une consommation d’espace excessive, avec un effet de relâchement sur les prix, ainsi que des risques de ségrégation socio-spatiale importants, nécessitant des politiques d’habitat intercommunales structurées (voir à ce sujet l'entretien avec Jean-Claude Driant pour Sur-Mesure, De la politique du logement aux politiques de l'habitat : état des lieux du marché du logement français).
Ce sont les villes-centres des métropoles qui connaissent les taux de pauvreté les plus forts.
Des espaces urbains qui creusent les écarts sociaux
Les grandes métropoles françaises, qui distribuent les revenus médians les plus élevés par rapport au reste du territoire, sont aussi porteuses de fortes inégalités de richesses, capables de déséquilibrer le tissu social et économique de leurs territoires. Si à l’échelle nationale les plus forts taux de pauvreté (au dessus de 25%) se concentrent dans les villes isolées des pôles urbains, en volume, le nombre de pauvres est plus important dans les grands pôles urbains (au sens de l'INSEE) 3. Et ce sont les villes-centres de ces agglomérations qui connaissent les taux de pauvreté les plus forts.
Gentrification et paupérisation, deux tendances croisées
Le processus de gentrification des villes-centres concerne les huit métropoles, à une exception notable : la ville de Marseille, où il demeure limité. Encore une fois, sans surprise, c’est à Paris qu’il est le plus important : les cadres et entrepreneurs y représentent 52% des actifs occupés en 2014 (+2,4 points par rapport à 2009). Il est corrélé aux prix de l’immobilier (9000 euros/m² contre 3500 euros/m² pour les autres villes-centres en 2014). Dans Paris intra-muros, à l’autre extrémité, les « pauvres »4 représentent 16,1% de la population, un des taux les plus bas de nos huit villes-centres, contre 14% au niveau national. A contrario, le pourcentage de pauvres dans la périphérie parisienne est de 15,1%, soit l’un des plus hauts taux des périphéries métropolitaines, signe d’une relégation mécanique des classes populaires en dehors de la ville-centre. Une récente étude de l’observatoire des inégalités5 montre à ce propos que 13 des 20 communes les plus pauvres de France se situent dans l’aire urbaine parisienne. Elle présente ainsi les dynamiques ségrégatives les plus importantes. La ville globale, le Grand Paris en construction, fait donc face ici à un autre de ses défis majeurs.
La situation s’inverse pour la ville de Marseille qui subit encore le déclin de son industrie locale et portuaire, qu’elle rattrape difficilement face à la concurrence européenne des grands ports industriels. La commune cumule le taux de cadres et d’entrepreneurs le plus bas (20%), et le taux de pauvreté intra-muros le plus important des huit villes-centres (25,8%), se traduisant par l’existence de quartiers paupérisés à l’intérieur même des limites communales (un peu comme si, pour donner une image, la ville de Bobigny se logeait dans Paris), qui persistent encore malgré les récentes restructurations du centre-ville . La commune contient ainsi les cinq arrondissements des grandes villes les plus pauvres de France. La bourgeoisie marseillaise habite davantage dans les espaces périurbains choisis du Pays d’Aix, où le taux de cadres et d’entrepreneurs y est supérieur à la ville-centre (26,8%).
La métropole lilloise connaît également des processus ségrégatifs marqués, typiques des villes « post-industrielles ». Elle concentre dans la ville-centre, un des plus hauts taux de cadres et d’entrepreneurs (32,1%) et un des plus hauts taux de pauvreté des huit métropoles (25%, juste après Marseille). Ces rapports se répètent à l’échelle de sa périphérie, où d’anciennes cités ouvrières côtoient des quartiers extrêmement embourgeoisés, constitués d’immenses villas. Signe d’un renouvellement certain, elle est cependant la métropole où le nombre de cadres progresse le plus fortement entre 2009 et 2014 (+ 5,2% intra-muros et + 2,4% en périphérie). Elle est suivie de Bordeaux (+ 4,2% et + 2,1%) qui possède en revanche une répartition sociale relativement proche des moyennes nationales à l’exception d’un taux de pauvreté un peu plus élevé dans la ville-centre (17%).
Toulouse, métropole la plus dynamique du Sud-Ouest sur le long terme, possède quant à elle un profil relativement proche de la tendance nationale pour les grands pôles urbains : un fort taux de pauvreté (18,8%) et de cadres (32%) dans la ville-centre, mais avec la particularité d’avoir une couronne périphérique relativement aisée (le taux de pauvreté chute à 8%). Et c’est finalement la métropole lyonnaise qui semble la plus équilibrée sur le plan socio-économique, les taux de pauvreté y étant relativement homogènes et proches de la moyenne nationale (14,5% pour la ville centre et 12% en périphérie), tandis que la répartition des cadres ne marque pas d’écart criant. Elle est suivie de Nantes qui possède le même type de profil (et le plus bas taux de pauvreté en périphérie, avec 7,84%).
Les formes urbaines de l’habitat influencent les grands équilibres sociaux et environnementaux d’un territoire, les politiques d'habitat doivent nécessairement être placées au cœur de la coopération métropolitaine.
La construction métropolitaine, une opportunité inédite pour l’avenir des villes
Ces différences de profils montrent que les huit principales métropoles françaises connaissent des dynamiques socio-démographiques profondément différenciées. Et comme les formes urbaines de l’habitat influencent le fonctionnement d’un territoire et ses grands équilibres sociaux et environnementaux, les politiques d'habitat doivent nécessairement être placées au cœur de la coopération métropolitaine6. Une recherche plus fine demanderait cependant de préciser les typologies résidentielles représentatives des principales dynamiques ségrégatives des métropoles, celles qui « creusent les écarts » entre populations, et à propos desquelles les pouvoirs publics doivent rester vigilants, alors même que la construction politique métropolitaine s’amorce de façon inédite.
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La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM » a entériné le statut des métropoles pour les EPCI couvrant une aire urbaine de plus de 650 000 habitants, ainsi que pour les chefs-lieux de régions, ou encore les agglomérations couvrant une zone d’emploi de plus de 400 000 habitants. ↩
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Les données utilisées dans cet article sont issues de l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) et portent sur la période 2009 - 2014, soit la dernière période où les périmètres des aires urbaines et les méthodes de recensement étaient identiques, rendant les données parfaitement comparables. ↩
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Ainsi 77 % de la population pauvre réside dans les 230 grandes aires urbaines des métropoles, dont 65 % dans les grands pôles urbains et 20 % dans l'aire urbaine de Paris. Source : « Une pauvreté plus marquée au cœur des pôles urbains » insee.fr/fr/statistiques/1285895 ↩
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Au sens de l’INSEE, un individu (ou un ménage) est considéré comme pauvre lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l'ensemble de la population. En France le seuil de pauvreté correspond à 60 % de la médiane des niveaux de vie, soit 1008 euros/ pers./mois en 2014. ↩
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Source : « Les communes les plus touchées par la pauvreté » ↩
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Notons à ce titre qu’à l’exception de Lille et Nantes, aucune des huit villes-centres étudiées n’atteint le seuil de 20% de logements sociaux minimum imposés par la loi SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains) du 13 décembre 2001, que la loi ALUR du 24 Mars 2014 (loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové), a porté à 25%. ↩