À l’occasion de la sortie de son dernier livre La ville agricole (éditions Openfield) nous avons souhaité rencontrer Rémi Janin, ingénieur Paysagiste, diplômé de l’École Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage de Blois, titulaire d’un Diplôme de Spécialisation en Architecture (DSA) et enseignant à l’école d’architecture de Clermont-Ferrand.
Le thème de l’ouvrage s’inscrit parfaitement dans les réflexions de notre second cycle, “Natures urbaines et citoyennetés”, tout comme plus largement l’ensemble du travail qu’il mène avec son frère au sein de l’agence FABRIQUES et pour lequel ils ont été distingués par le Palmarès des Jeunes Urbanistes 2014.
Avec La ville agricole, sous-titré “L’agriculture vit une révolution urbaine sans précédent traduisant un changement de civilisation profond”, Rémi Janin offre une lecture transversale au cœur même du travail qu’il conduit depuis plusieurs années, explorant et interrogeant cette révolution urbaine à travers différentes formes, différentes voies possibles vers une transition nourricière, environnementale et urbaine indispensable de l’agriculture. Il défend la vision d’une ville consciemment agricole, imaginative et vivante.
Il évoque à la fois son engagement actuel dans la reprise de la ferme familiale tout autant que diverses études, comme celle menée pour la métropole de Clermont-Ferrand où il identifie le devenir d’enclaves agricoles de plusieurs centaines d’hectares, envisagées comme de potentiels parcs agricoles urbains.
Entretien
Sur-Mesure : Au sein de votre livre, vous affirmez que “l’agriculture est un projet collectif à l’échelle d’une société. Elle participe d’un projet commun.” L’un de nos auteurs, Sébastien Goelzer, associe la notion de “ville comestible” à celles des communs urbains. Pensez-vous que l’agriculture doit être considérée, dans son rapport à la ville, comme un “commun” ?
Rémi Janin : L’espace nourricier doit à mon sens être pensé comme portant une valeur commune et comme un “commun”, dans le sens où il est une nécessité collective indispensable qui ne peut être réservée à quelques-uns, qui ne peut être cloisonnée au sein du projet de paysage. L’espace nourricier doit alors faire consciemment partie du projet urbain et spatial et en être placé au centre. Car même si l’espace agricole reste en très grande partie un territoire privé - aujourd’hui majoritairement celui des exploitants agricoles - il doit désormais devenir dynamique et participatif de nouvelles formes de paysages à la fois nourricières, environnementales et territoriales. L’agriculture ne peut ainsi plus être réduite à un zonage et pensée à l’écart, tenue par la seule profession agricole, mais elle doit être transversale et s’ouvrir à la société qui de plus en plus souhaite s’investir dans cette part nourricière, et en être totalement active et imaginative.
Sur-Mesure : Votre ouvrage s’appuie sur une analyse historique et systémique afin de démontrer brillamment que “la ville porte en elle un projet nourricier”, une affirmation qui s’écrit comme une évidence. Pourtant, existe-t-il un lien entre les initiatives urbaines citoyennes en faveur d’une certaine agriculture, tels les jardins partagés que nous avons pu présenter par des récits de terrain, et une approche territoriale plus large, comme peut par exemple le présenter Alberto Magnaghi à travers la notion de biorégion urbaine ?
Rémi Janin : Il y a un dialogue absolument nécessaire entre ces deux échelles et ces différentes agricultures : des dynamiques de fond émergent au sein de la société civile, notamment des citadins, qui participent d’une prise de conscience plus large des enjeux agricoles et du rapport de l’agriculture à la ville. L’échelle territoriale est plus complexe à saisir pour les citoyens, car elle est plus institutionnelle, mais les attentes convergent et toutes ces formes et ces échelles doivent à mon sens participer d’une même vision collective.
Il me semble en effet souhaitable aujourd’hui de trouver un projet nourricier alliant ville comestible et projet alimentaire à l’échelle du grand territoire, à l’image par exemple de ce que certaines villes ont engagé sur la question de l’autonomie alimentaire de leurs bassins de vie. Cette vision reste encore peu formalisée politiquement mais est en train de s’inventer, de même que les moyens et les outils associés, alors que le projet politique de l’agriculture conventionnelle est encore très bien en place et définit toujours largement le projet agricole. Il se fonde pourtant sur une pensée datant de plus de cinquante ans et qui apparaît totalement dépassée face aux enjeux alimentaires, écologiques et urbains actuels et à venir.
Il est donc nécessaire d’engager une prise de conscience collective afin que cette question politique soit portée et imaginée par tous les citoyens à toutes les échelles. Il ne faut pas que le projet nourricier, en tant que bien commun, échappe au citoyen.
Extrait de l'ouvrage : “Vers des campagnes partagées”
Si l’agriculture nécessite d’engager cette transition productive et environnementale, celle-ci doit enfin être dans le même temps urbaine et territoriale au sens d’un partage assumé et dynamique de l’espace nourricier.
Dans ce sens l’espace agricole présente ponctuellement une qualité déjà existante, offrant un milieu qui dépasse parfois l’usage unique et fonctionnalisé du lieu. Des espaces sont en effet productifs tout en permettant des usages de randonnée, de cueillette ou d’accueil. Ils montrent des formes généralement sobres et frugales qui peuvent permettre parfois une polyvalence et de nombreuses temporalités d’usages. Les lieux d’estives ne sont-ils pas d’une certaine manière les premiers parcs agricoles, formes pensées pour l’élevage tout en hébergeant des activités estivales de randonnée et en devenant l’hiver pour certains d’entre eux de vastes domaines skiables ? Des prés ou des bâtiments agricoles ne deviennent-ils pas des lieux de fêtes lorsque les troupeaux n’y sont pas ou que la récolte y a été effectuée ?
Enfin plus largement les campagnes doivent acquérir une dimension productive transversale. Les bourgs ruraux par exemple, dont certains ont été partiellement désertés, peuvent aussi devenir des espaces plus ouverts et plus nourriciers, permettant un nouveau rapport actif aux habitants présents ou ceux qui pourraient le devenir lié à un possible exode urbain qui semble s’amorcer. L’espace rural peut ainsi assumer son propre vocabulaire associé à des formes simples et polyvalentes en installant par exemple des vergers communs, en s’ouvrant sur la campagne, en déployant des chemins, en supprimant parfois des murs dans les bourgs parfois dépeuplés pour faire des jardins, en faisant alors au mieux à partir de l’existant. Il nous faut ici comme ailleurs inventer dans la sobriété et l’exigence des moyens et du sol, dans l’épaisseur du temps et des usages mêlés entre dynamiques productives, d’ouvertures et d’aménités. Il nous faut penser l’espace dans le mouvement à partir de cette complexité et non dans la juxtaposition et la séparation simpliste et arrêtée des fonctions.