En 2019, les appels à projets urbains innovants (APUI) continuent à fasciner les collectivités : les villes de Tours et du Havre engagent chacune leur propre APUI, le programme Action Cœur de Ville prépare un « Réinventons nos cœurs de ville » d’envergure nationale, alors que les résultats de Réinventer Paris 2 viennent juste d’être annoncés. Cinq ans seulement après leur lancement, les APUI se sont imposés comme un outil incontournable de production de la ville française.
Bien que les universitaires et praticiens s’accordent1 sur le fait que l’impact des APUI sur la production urbaine globale reste limité, la période faste des Réinventer franciliens2 aura largement influencé le secteur de la promotion. Qu’il s’agisse du socle actif, de l’immobilier pour start-upper ou encore de l’hôtel logistique, les programmes de ces APUI laissent notamment deviner les traits d’une nouvelle ville active, à la pérennité encore incertaine.
Le socle actif : clé de voûte de la mixité programmatique
Tout comme les projets urbains de grande Zones d’Aménagement Concerté (ZAC), les promoteurs candidats aux appels à projets urbains innovants ont largement intégré les socles actifs3 à leurs programmes. Dans leur retour d’expérience de la première édition d’Inventons la Métropole du Grand Paris, les cabinets de conseil Partie Prenante et le Sens de la Ville avaient relevé que les rez-de-chaussée faisaient partie des « quelques lieux phares » sur lesquels « la maîtrise d’usage se concentre ». En d’autres termes, les usagers des socles actifs (commerçants, enseignes et gestionnaires de services) travaillent désormais avec les promoteurs et architectes en amont du projet.
Les conciergeries apparaissent comme des guichets uniques de services privés de proximité
Dans cette course à l’agrégation des activités et services en rez-de-chaussée, les conciergeries occupent une place particulièrement importante. En proposant de mutualiser les services aux particuliers et/ou aux entreprises (relai de La Poste, services à domicile, ressourcerie, etc.), les conciergeries apparaissent comme des guichets uniques de services privés de proximité, reprenant les codes des services publics (guichet de poste, services à la personne, déchetterie, etc.) à une époque où ces derniers ferment leurs bureaux de proximité.
Avec les APUI, les rez-de-chaussée continuent de s’activer. Alors que le socle actif préexistait aux consultations innovantes, il s’est imposé comme véritable condition d’accès à la charge foncière.
ZAE : zone d'activités entrepreneuriales ?
Avec les « Réinventer », les promoteurs ont redoublé d’imagination pour proposer de nouvelles offres immobilières. Dès 2014, le règlement de Réinventer Paris présentait l’innovation comme élément clé de la réussite du projet urbain. En ce qui concerne les programmes d’activités économiques, cette “réinvention innovante” devait ainsi passer par l’adaptation de l’immobilier d’entreprise aux besoins des start-uppers.
Les APUI promettent de faire sortir de terre de nouvelles offres immobilières, flexibles et adaptées
En effet, du côté de l’immobilier tertiaire, une partie non négligeable de l’offre de bureaux a été destinée aux start-ups. Plus qu’une simple tendance économique, cette évolution provient d’un bousculement des pratiques mêmes de conception de ces offres : après Inventons la Métropole du Grand Paris 1, les acteurs participants attestent que « les start-ups » constituaient un « nouvel écosystème […] présent dans les débats »4 programmatiques. En laissant la part belle à la programmation collaborative, les APUI promettent ainsi de faire sortir de terre de nouvelles offres immobilières flexibles et adaptées, permettant aux entrepreneurs de disposer de locaux à géométrie variable en fonction de leurs besoins de croissance, à l’image des projet d’Antonypole à Antony (12800 m² de « campus innovation » contre 7000 m² de bureaux “classiques”) ou Stream Building à Clichy-Batignolles.
Du côté du logement, les promoteurs ont également intégré l’univers entrepreneurial dans les programmes qu’ils ont imaginés à travers le concept de « co-living »5 (voir les projets Phare ou 17&CO). À mi-chemin entre la colocation et l’open space, ce produit immobilier s’adresse explicitement aux étudiants et auto-entrepreneurs pour qui le lieu de vie intègre l’espace de travail – comme en témoignent les personnages des perspectives de consultation.
En complément de l’ « immobilier start-up », le co-living conforte la fabrique d’une ville active qui ne ressemble en rien à la zone d’activités périurbaine ou au quartier d’affaire de la Défense. On assiste ici à l’émergence d’une nouvelle forme de ZAE, qui n’est plus économique mais bien entrepreneuriale.
La logistique urbaine au service du e-commerce ?
Alors que les modes d’activités se transforment au sein même des bâtiments, les appels à projets urbains innovants se sont également imposés comme des temps de réflexion sur la circulation des biens dans l’espace urbain. Face à l’explosion du e-commerce et aux enjeux d’optimisation de distribution de colis dans les grandes villes, les promoteurs de logistique urbaine se sont fait une place de choix dans le cercle des lauréats d’APUI.
La logistique urbaine participe d’abord d’un mouvement de fond qui fragilise les commerces spécialisés
En première ligne de ce marché de la logistique du dernier kilomètre, la Sogaris6 : la Société d’Economie Mixte parisienne a remporté plusieurs sites emblématiques d’appels à projets grand-parisiens. On pense notamment aux projets Node (Réinventer Paris 1), En Seine ! (Réinventer la Seine), Symbiose (Inventons la Métropole 1) et plus récemment La Folie Champerret (Réinventer Paris 2). Ces opérations, si elles promettent de transformer les modes de circulation des biens dans l’espace urbain, participent d’abord d’un mouvement de fond qui fragilise les commerces spécialisés qui faisaient le tissu commercial des centres-villes français.
Les programmes de logistique urbaine des APUI, largement soutenus par les acteurs publics7, s’affichent avant tout comme des solutions dédiées au e-commerce. En facilitant les chaînes de distribution des biens expédiés depuis les plateformes des géants de la vente en ligne (avec Amazon en tête, mais également les drives alimentaires), les programmes destinés à la logistique du dernier kilomètre contribuent à l’expansion d’une économie qui menace d’autres types d’activités urbaines.
À l’inverse, d’autres projets s’inscrivent dans une logique d’économie circulaire – ou de proximité – et pourraient être le contrepied des grandes opérations de logistique urbaine. Le projet d’Immeuble Inversé (Sogaris également, Réinventer Paris 2) met par exemple des espaces de stockage à disposition des artisans, petits commerces et particuliers du quartier. Ce projet mutualise ainsi des réserves immobilières dans une logique servicielle, ici vertueuse pour l’activité de proximité. Mais les six niveaux souterrains de l’Immeuble Inversé permettront-ils aux commerces de proximité de rester compétitifs face aux grandes enseignes à qui sont destinés les 50000 m² d’hôtel logistique à Bercy-Charenton ? Le doute semble permis.
Qu’il s’agisse des socles actifs, des espaces de travail pour start-ups ou de la logistique urbaine, ces évolutions témoignent d’un renouvellement majeur du visage de la ville active française. Alors que la désindustrialisation avait crevé les cœurs urbains productifs, les APUI optimisent les friches héritées de cette période en répondant aux besoins des jeunes actifs et des services qu’ils utilisent. Si cette servicialisation semble aller dans le sens de l’histoire, il nous semble qu’une question reste en suspens : au service de qui se fait cette transformation de la ville active ?
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À ce sujet, consulter le dossier Métropolitiques portant sur les « héritage, enjeux et perspectives » des APUI. ↩
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Nous faisons référence ici à la période 2014-2016, qui a vu le lancement de Réinventer Paris 1, mais également de Réinventer la Seine et Inventons la Métropole du GrandParis1. ↩
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Cette notion, diffusée il y a quelques années par l’AUC pour l’aménagement de la ZAC Lyon Part-Dieu, consiste à réserver le rez-de-chaussée des îlots urbains aux activités de commerces et de services. ↩
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Ces verbatim sont tirés des réponses au questionnaire de retour d’expérience IMGP1 initié par les agences de conseil Partie Prenante et le Sens de la Ville. ↩
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Nous avions explicité la notion de co-living dans un précédent article, au sein du cycle 3 de Sur-Mesure. ↩
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La Sogaris est une société d’économie mixte de la Ville de Paris dont le rôle est de développer l’offre d’immobilier logistique dans la capitale. Elle participe aux APUI notamment aux côtés de la SEMAEST et de la SEMPARISEINE – autres SEM de Paris. ↩
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Comme l’indique le site de la Sogaris, son capital est détenu à 49,5% par la Ville de Paris, suivie des départements de la première couronne parisienne et de la Caisse des Dépôts et Consignations. ↩