Mon travail de photographe est depuis toujours profondément ancré dans un questionnement de la ville, ce qui soulève bien sûr la question de sa définition. J’aurais tendance à dire que je m’intéresse à la ville jusqu’aux confins de ses espaces d’influences. Quand j’ai commencé à travailler sur Marseille, et notamment dans le cadre des photos qui accompagnent l’ouvrage de Baptiste Lanaspeze Marseille, ville sauvage (Actes Sud, 2012), j’ai appris à voir et apprécier les espaces de frictions entre ce que l’on appelle la ville et la nature des espaces de possibles fictions et d’intrication des enjeux contemporains des enjeux de l’urbain contemporain. Que ce soit à partir d’objets géographiques comme une rivière, d’activités économiques comme l’agriculture urbaine, de gestes comme ceux de cueilleurs et cueilleuses de plantes sauvages, je tente de raconter des histoires susceptibles d’interroger notre rapport au « vivant ».
J’habite le centre-ville de Marseille. Même si dans l’hypercentre il y a matière à travailler ces questions, je pense avoir besoin de m’en éloigner pour retrouver des lieux plus relâchés où les interactions sont plus variées. Là où s’imbrique le souvenir de la ceinture agricole, l’influence de la colline, des zones d’habitats variés (pavillonnaires, bastidaires, grands-ensembles), des infrastructures de transports ou hydrauliques. En somme, c’est aux marges de la ville que la question du sauvage et du végétal s’impose plus précisément. Elle est pour moi, une question essentielle à prendre en compte dans le développement urbain à venir. Aujourd’hui, elle me semble particulièrement prégnante dans l’histoire de l’installation du parc agricole de Sainte-Marthe. C’est un lieu qui me touche et qui m’intéresse, où s’expriment toutes les questions du développement des villes : alimentation, biodiversité, grand paysage, lieu de vie pour les quartiers qui bordent le parc d’une part et, bien sûr, d’autre part, besoins de logements.
Le ruisseau des Aygalades est un autre de ces lieux qui en dit beaucoup sur ces frictions. C’est un lieu qui me fascine, car il permet d’évoquer notre rapport à la nature, à l’eau, et de raconter l’histoire et la géographie des quartiers nord de la ville. On y redécouvre les absurdités des Trente Glorieuses tout en admirant des espaces de tendresse absolue. C’est un objet qui a mauvaise réputation, qui est malade, affaibli, mais hyper résilient, avec des lieux de beauté enserrés dans des lieux repoussants. Mon travail photographique sur ce ruisseau me passionne aussi, car il se trouve enchâssé dans le mouvement citoyen du collectif des Gammares...
La suite de cet extrait, d’autres témoignages ainsi qu'une série d’illustrations inédites sont à retrouver dans l’ouvrage Marseille / Éclatés. Une ville transformée par ses imaginaires, François Déalle Facquez & Emilie Seto, édité par Sur-Mesure. Disponible en prévente afin de faciliter l'impression. Merci par avance pour votre participation (parution prévue au premier trimestre 2024).
Geoffroy Mathieu vient également de publier avec Jordi Ballesta, l’ouvrage Anti Installation, aux éditions Building Books. Depuis 2014, ils photographient ce qu’ils nomment des dispositifs antiinstallation, appelés officiellement « dispositifs de sécurisation » ou « anti-intrusion ». Ces dispositifs — présents dans les périphéries (surtout) et centres (également) des métropoles francilienne, lyonnaise, marseillaise, lilloise, bordelaise, nantaise, etc. — ont pour objectif d’empêcher la reconstitution de bidonvilles, après leur destruction par les pouvoirs publics et l’expulsion concomitante de leurs habitants.
Geoffroy Mathieu et Jordi Ballesta les organisent sous la forme d’une typologie d’opérations : l’enrochement, le déversement, l’excavation, l’entassement, le creusement de tranchées, le défonçage de revêtements, le saccage puis le maintien sur place des constructions détruites... Ils les contextualisent grâce à la composition d’un texte de citations, issues de documents administratifs, juridiques et associatifs qu’ils ont collectés.
À cet ensemble photo-textuel, dont l’intention est pleinement documentaire et la teneur clairement factuelle, les auteurs associent des personnalités extérieures au sein d’une postface et de deux entretiens : l’historien Philippe Artières, la philosophe Joëlle Zask et le juriste William Acker. Anti Installation propose alors une forme d’enquête ouverte aux prolongements, aux approfondissements, aux recherches ultérieures qui, notamment, questionneront la fermeture — dans toutes ses déclinaisons — de notre démocratie.