revue-sur-mesure-maxime-zait-les-temps-de-l-urbanisme-durable_couv_max_zait.jpg
Battre aux rythmes de la ville

Maxime Zaït, les temps de l'urbanisme durable

cycle d'entretiens UrbaTime

Engagé depuis 2013 dans les champs de l'urbanisme temporaire et de l'ESS, Maxime Zaït prend le temps de décortiquer ces nouvelles pratiques et leurs enjeux. Il décrit un milieu où les acteurs se structurent et s'outillent en faveur d'une pérennisation du modèle. Il appelle également à la vigilance, pour que les projets transitoires continuent à servir les communs et l'intérêt collectif.

Propos recueillis par Sandra Mallet et Arnaud Mège, le 21 janvier 2020, dans le cadre d’une série d’entretiens avec cinq « théoriciens », afin de mettre en lumière leur point de vue et leurs idées sur les enjeux relatifs au temps en urbanisme. Ce travail s’inscrit au cœur du programme de recherche « UrbaTime. Les temps de l’urbanisme durable » qui réunit une équipe de chercheurs en aménagement de l’espace et urbanisme, en géographie et en sociologie. Chaque entretien vient nourrir la réflexion et entamer des analyses, définies dans l’axe 1 du programme, dédié à l’étude de l’élaboration et de la circulation des savoirs sur le temps en urbanisme.

Quelle est la place du temps dans votre propre pratique ?

Communa s’insère dans des temps morts de la ville et tente des accélérations. Le temps, c’est notre niche, c’est ce qui nous permet de déployer notre activité. C’est aussi un facteur de stress parce que nos modèles économiques sont fragiles et dépendent du temps. Dès que des projets à longs termes sont ralentis, c’est parfait pour nous ! Et inversement, on doit tout faire très vite. Avec un projet sur 24 mois, le modèle économique impose un lancement très rapide, sinon, nous n’avons pas le temps de revenir sur nos coûts initiaux. Autre chose : pour mobiliser des communautés, il n’y a vraiment que le temps qui compte. C’est parce que l’on reste sur la durée que l’on a vraiment le temps de tisser des liens. On aurait un impact nettement plus important si on pouvait rester plus longtemps. Pour cette raison, nous sommes en train -au même titre que Plateau Urbain et d’autres- de sortir doucement du lit du temporaire pour aller vers la pérennisation de nos pratiques.

Parce que le marché locatif classique était bouché, on s’est retrouvé dans l’univers du squat puis de l’occupation temporaire. Communa est née de cette volonté de mettre à profit ces espaces de vacance dans la ville [...]

Pouvez-vous revenir sur la manière dont Communa est née ?

On était cinq : un historien, trois juristes et un ingénieur polytechnicien. Certains d’entre nous ont expérimenté la vie en communauté très jeunes puis ont eu envie de pérenniser cela. Parce que le marché locatif classique était bouché, on s’est retrouvé dans l’univers du squat puis de l’occupation temporaire. Communa est née de cette volonté de mettre à profit ces espaces de vacance dans la ville pour l’intérêt collectif et pour le propriétaire. Cela soulève toute une série de questions : avec quels types de propriétaires ? Si ce sont des gens qui rachètent des quartiers populaires pour les transformer, est-ce qu’on a envie de servir de lubrifiant social, d’apaiser des tensions, de faire semblant de faire des trucs cool pour qu’ensuite le promoteur construise des logements de luxe ? On travaille donc avec des pouvoirs publics, des foncières solidaires, des bailleurs sociaux. Aujourd’hui, l’association fonctionne avec une vingtaine de salariés. Des personnes ont rejoint l’équipe, possédant d’autres formations et compétences, en communication, graphisme, philosophie, sciences humaines, architecture, menuiserie… L’association coordonne une dizaine de sites à Bruxelles. Cela représente une cinquantaine, bientôt une centaine, de personnes hébergées, soit des communautés mixtes, de l’insertion par le logement pour des personnes en grande difficulté. Le reste repose sur des espaces mis à disposition pour des activités d’intérêt collectif. Ce peut être de la culture, de l’art, de l'entrepreneuriat social, de l’économie circulaire, des espaces de coworking, des maisons de jeunes...

Quel est votre objectif aujourd’hui ?

La mission que l’on se donne à présent est de renforcer le mouvement vers une ville créative, résiliente, abordable et démocratique par l’usage des espaces vacants. Notre métier principal repose sur la coordination d’espaces de A à Z, ce qui veut dire : négocier avec des propriétaires publics ou privés, faire des appels à projets (ou des appels à communs), monter des modèles économiques, faire les travaux, faire occuper les espaces, animer la communauté, permettre la quasi-autogestion des lieux. C’est notre métier premier, qui mobilise beaucoup de monde dans l’équipe. Le deuxième, c’est la question de la pérennisation : comment faire pour que nos efforts persistent ? La question de la maîtrise d’usage peut prendre deux formes : réussir à influencer le futur ; être en mesure de rester gestionnaires des espaces. On a constitué une coopérative d’acquisition foncière pour acquérir les lieux sous un format Community Land Trust, en démembrement de propriété.

Comment faire en sorte que l’urbanisme temporaire reste à finalité sociale. Cela représente un grand travail [...]

Un troisième axe repose sur la pollinisation, l’essaimage. Soit en top-down, soit en bottom-up. En bottom-up, c’est l’accompagnement de petits collectifs : squatteurs, occupations temporaires, débutants, etc., qui veulent se professionnaliser ou qui ont besoin de soutien. À terme, on travaille actuellement sur le déploiement d’une formation, pour que d’autres collectifs professionnels puissent émerger avec les mêmes valeurs que les nôtres. En top-down, c’est l’accompagnement des pouvoirs publics ou éventuellement des propriétaires dans le déploiement de l’usage temporaire. On va donc de la proposition d’un modèle économique à l’accompagnement total : une étude de site ou simplement les questions techniques. Quatrième axe, l’institutionnalisation positive. Comment faire en sorte que l’urbanisme temporaire reste à finalité sociale. Cela représente un grand travail de plaidoyer et de coécriture de textes avec les pouvoirs publics, de sensibilisation du grand public. Dans ce cadre, on a monté la campagne de la Vingtième commune.

Cinquième axe : mutualiser : cela permet d’économiser les coûts. On a une recyclerie, une bibliothèque d’outils, une camionnette et bientôt un beau tuk-tuk Piaggio ! Enfin sixième axe : fédérer. L’idée est de se lier à d’autres collectifs qui travaillent sur des questions similaires. Au niveau régional, on a monté la Vingtième commune. Au niveau international, on est cofondateur du réseau STUN – Social Tempory Use Network – notamment avec Yes We Camp, des partenaires du Danemark, d’Allemagne, de Lettonie, d’Angleterre, etc. On se voit une fois par an dans le cadre d’un STUN Camp, on bosse tous sur un bâtiment et on échange sur nos modèles économiques, la branche expertise de nos associations, puis on boit des coups, on devient copains.

En travaillant sur du temporaire, le temps est l’un de vos outils. Comme agissez-vous avec le temps ? Quels sont vos outils, vos méthodes, les approches qui permettent de l’appréhender ?

En tant qu’occupant temporaire, le travail de gestion directe impose de faire très vite au début et d’être hyper efficaces sur toute une série de choses. Quand ça commence, il faut que ça brille, il faut que ça explose vite ! Cela étant, il faut aussi prendre le temps d’infuser les dynamiques sur le long terme. Les lieux sont héritiers d’une histoire très longue. Nous tentons de respecter cette histoire et menons des réflexions à ce sujet. Dans le cas du Tri postal à la gare du Midi, ancien centre de tri, on essaie d’intégrer cette idée au maximum dans notre communication, dans le graphisme, pour ne pas dénaturer les lieux de leur passé et capitaliser là-dessus. Un « héritage du temps » qui consiste à faire en sorte que le bâtiment reste habité par cet esprit-là, même si les usages changent.

Il faut arriver à rassembler les acteurs du quartier pour qu’ils puissent, par l’usage, être en capacité et demander des choses de manière plus forte aux pouvoirs publics, en sortant d’une posture bénéficiaires/demandeurs pour être acteurs

Et comment faire pour que le petit temps qui nous est donné influence le projet sur longtemps ? L’idée, quand on parle de maîtrise d’usage, est de dire : « donnez-nous quelques cacahuètes pour que, pendant quelques années, on joue, et avec ça vous pouvez designer un projet avec un vrai budget pour faire un truc qui cartonne pour toujours », je veux dire sur un temps urbain. C’est cela, le principal élément temporel dans notre travail. On est encore dans une forme d’impuissance par rapport à cela. On veut travailler sur la pérennisation et devenir nous-mêmes maître du temps. Avec le temporaire, on met le pied dans la porte, mais après quelques années, il faut être en capacité économique de racheter les lieux, avec des modèles de propriété alternative qui restent. Le défi est que les lieux restent abordables pour nos communautés.

Avez-vous des exemples de projets, pour illustrer ?

En ce moment, on occupe un bâtiment à Anderlecht, dans un quartier très populaire en phase de gentrification. Ce bâtiment a été racheté par le Community Land Trust bruxellois. On anime temporairement le lieu pour dessiner les usages susceptibles d’être intégrés dans le design futur du bâtiment. Souvent, les Land Trust n’ont pas d’argent pour nous aider à animer les lieux, mais là, la partie est gagnée : inscrit dans le cadre du Land Trust, le projet est par nature ingentrifiable !
Un autre projet en cours se situe à Forest (et n’a pas encore de nom, puisqu’on veut le choisir collectivement avec les occupants)1. Il s’agit d’un gros bâtiment racheté par la commune et qui appartenait à Engie. Il faut arriver à rassembler les acteurs du quartier pour qu’ils puissent, par l’usage, être en capacité et demander des choses de manière plus forte aux pouvoirs publics, en sortant d’une posture bénéficiaires/demandeurs pour être acteurs. Et puis, il y a tous les exemples de projets où on a perdu. « Perdu » c’est un grand mot, mais je vais dire que l’on n’a pas gagné, en tous cas. On fait des projets super cool sur un instant T mais on sait que le propriétaire louera à une catégorie de population plus aisée. Voilà, trois types de cas, pour illustrer la manière dont on joue avec le temps.

Pouvez-vous revenir sur l’idée de passer du « bricolage » temporaire au temps plus long ?

On était très contents de faire les choses temporairement, on trouvait même ça beaucoup plus cool ! On peut avoir deux années de travail, rater, recommencer… Le truc, c’est qu’à un moment donné, on a envie de pérenniser l’énergie que l’on investit. Si on a fondé des relations durables avec des voisins, que l’on a construit des choses matérielles qui ne sont pas démontables et qui sont de qualité, une communauté qui roule, on a envie de rester.

Il y a ce combat des anarchistes anti-propriété privée. Le problème est qu’après cinq ans de squat, ils ont perdu. Que ce soit à Berlin ou dans une autre ville, soit le squat est devenu propriété collective, soit il est mort. On doit revoir nos propres stratégies pour avoir un impact durable. La combinaison entre les Community Land Trust/les foncières solidaires et des praticiens de l’urbanisme temporaire ou transitoire offre cette possibilité. On parvient à dénicher des espaces qui sont illiquid, des trucs invendables, qui trainent, qui sont hors du temps. On arrive avant des gros investisseurs, on occupe et puis on produit de la valeur, avec un véhicule pour pouvoir racheter le lieu car on ne veut pas que cette valeur soit remise entre les mains d’un promoteur.

Les interstices non réglementés sont bien pour des acteurs de l’économie sociale, mais dangereux avec l’arrivée d’« uberisateurs de services » qui trouvent une niche économique fructueuse.

Mais, il faut donc s’interroger sur la manière de déployer des efforts plus globalement. Il faut comprendre la mécanique globale, sinon nos efforts, amusants, créatifs, sont voués à renforcer une logique que l’on essaye de combattre. En faisant des alliances, en construisant les véhicules juridiques, économiques, alternatifs à la propriété, nous arriverons à prendre plus d’espace. Le Mietshäuser Syndikat2, en Allemagne, est dans ce genre-là. Il permet à des squats de se pérenniser, il concerne 150 lieux. Ça c’est bottum up ! D’un autre côté, quelle alliance va-t-on pouvoir tisser avec les institutions ? De nombreuses choses pourraient être faites avec beaucoup moins d’efforts en planifiant la ville « d’en haut ». Un travail sur le zoning serait à faire. L’idée des « zones franches » nous intéresse aussi. On pourrait imaginer des zones franches d’urbanisme qui fonctionnent selon d’autres logiques, avec des « permis de faire », dans lesquelles on peut construire de l’habitat léger. Cela ne veut pas dire qu’il faut lâcher toutes les questions de sécurité, de salubrité, et permettre n’importe quelles formes d’uberisation. Il s’agirait de sortir des portions de la ville des règlementations actuelles et des règles du marché. Là, il faudrait agir d’en haut.

Est-ce que la question juridique et de réglementation est un frein au développement de l’urbanisme temporaire en Belgique ?

En Belgique, les règles ne sont pas toujours appliquées. L’urbanisme temporaire n’est pas très surveillé, les règles se contredisent et puis au fond, personne ne les connaît vraiment. L’idée est de cadrer les choses pour les simplifier, mais je pense que cela les complexifiera au contraire, car maintenant il va falloir remettre des permis temporaires ! Les interstices non réglementés sont bien pour des acteurs de l’économie sociale, mais dangereux avec l’arrivée d’« uberisateurs de services » qui trouvent une niche économique fructueuse. Là, on a besoin dans la réglementation d’avoir un partenariat public commun et d’avoir un Etat partenaire des communs, ainsi que de créer une membrane de protection contre la prédation d’une vision extractive de la ville. Il faut être très souple, très flexible et, en même temps, être protecteur. Dans les mécanismes concrets que l’on a identifiés ce sont les clauses sociales, comme les marchés d’attribution des bâtiments vides. Quand un bâtiment appartient à la région, elle doit faire un appel d’offre, un marché public. Au lieu de dire : « qui est-ce qui prend mon bâtiment pour le moins d’argent ? », elle devrait dire : « qui est-ce qui me propose le meilleur projet en termes de qualité ?».

Quelles sont les références qui vous aident à penser cette question de l’urbanisme temporaire et la question du temps ?

On est très influencé par ce que font nos pairs. On suit de près ce qui se fait à Montréal avec Entremise, ce que fait Plateau Urbain, ce que fait Yes We Camp, Free Riga, qui sont nos partenaires de STUN. On s’influence mutuellement. Une des guide lines de notre pratique, ce sont aussi les critères de l’économie sociale. Ce qui veut dire : gouvernance partagée, finalité sociale qui prime sur l’objectif économique. Ce sont plus des règles entrepreneuriales. Dans les sources d’influence de Communa, au départ, il y a la communauté, le communalisme libertaire, l’idée de « donne ce que tu peux, prends ce dont tu as besoin ». Je crois que c’est la base de ce que l’on a mis en place. Un troisième ensemble concerne le « droit à la ville ». On poursuit l’idée de démarchandiser la ville, de la rendre accessible à tous. Cela nous inspire de manière théorique. Dans les projets, il y a Mietshäuser Syndikat en Allemagne, la Community Land Trust de Bruxelles et puis il y a les autres projets d’urbanisme transitoire et temporaire avec qui on travaille.

Pour citer cet article

Maxime Zaït, « Maxime Zaït, les temps de l'urbanisme durable », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 23/06/2021, URL : https://revuesurmesure.fr/contributions/maxime-zait-les-temps-de-l-urbanisme-durable