La capitale tunisienne a subi l'influence de multiples civilisations et de diverses cultures. Elle reflète par conséquent les évolutions historiques mais aussi les spécificités ethniques et culturelles de ses habitants. Ce brassage interculturel a donné lieu à un territoire à double modèle urbain. Il s’illustre aux visiteurs de la ville par le mariage entre les ruelles de la Médina, rappelant l’époque arabo-musulmane, et les immeubles de différents styles témoignant de l’époque coloniale française.
Aujourd’hui, à l’aune d'une évolution de la société faisant suite à la révolution1 et en s’appuyant sur cet héritage culturel et architectural, la composition de la ville de Tunis doit évoluer vers une « ville ouverte » à la hauteur des attentes sociales. Cette réflexion2 s’inscrit dans un contexte spécifique, entre les villes d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Elle constitue un essai de réponse à la recherche d’une symbiose entre la Médina de Tunis3, la ville coloniale4 et la ville future, à travers la prise en compte du changement du mode de vie des Tunisiens après la révolution.
Quels changements possibles de la ville par rapport à son développement passé et comment créer une « ville ouverte » à l’image d’une société ouverte ?
Une fenêtre sur le passé
La Médina de Tunis constitue le centre historique, le quartier le plus ancien de la ville. Elle est caractérisée par un urbanisme isolé, fermé du monde extérieur par une enceinte qui, autrefois défensive, jouait le rôle d’un filtre. Il s’agit d’un tissu organique qui se développe autour de la mosquée Zitouna, élément central de la ville.
L’organisation urbaine de la Médina crée une ambiance particulière et un mode de vie insolite. Initialement géré par l’autorité religieuse, la mosquée, et fondée sur le principe d’intimité qui donne naissance à un cadre urbain introverti, caractérisé par la quasi inexistence des espaces publics, favorisant la sociabilité urbaine, dans l’optique de minimiser les rencontres.
En 1881, la colonisation française conduit à l’extension de la ville et bouleverse le mode de vie des Tunisiens qui évolue alors, d’un modèle traditionnel et familial à un modèle plus émancipé et moderne.
La ville coloniale de Tunis se développe à l’extérieur de la Médina, autour d’un axe principal, avenue Jules Ferry (aujourd’hui Avenue Habib Bourguiba). Elle est caractérisée par un tracé géométrique et orthogonal qui donne naissance à une trame en damier. Cette extension de la ville est influencée par la ville européenne, sa composition urbaine diffère totalement de celle de la Médina : une réponse extravertie, qui tente de mettre en valeur la dimension humaine par la création de quelques espaces publics. Ces espaces qui restent néanmoins toujours sous le contrôle politique, leur manque de cohérence est fortement ressenti aujourd’hui puisqu'ils ne répondent plus aux besoins des usagers (manque de mobilier urbain par exemple).
Après avoir subi plusieurs formes d’autorité politique et religieuse, dans la Médina comme dans la ville coloniale, le Tunisien est aujourd’hui un citoyen libre, ouvert et émancipé qui vit dans ce qu’on appelle l’ère de la démocratie. Depuis la révolution, il a changé de statut, adopté un nouveau mode de vie et de nouvelles pratiques urbaines. Il n’est plus épanoui dans la ville dont il a hérité (ville médiévale/ville coloniale) d’où la nécessité de penser un autre cadre urbain et de redynamiser la ville afin d’avoir une ville plus satisfaisante.
Une fenêtre sur le futur
Une « ville ouverte »... essai de définition
Ce concept « d'ouverture » de la ville repose sur une volonté de changer de modèle de ville, d’en adopter une perception nouvelle afin de concevoir son futur/son développement dans de nouvelles perspectives afin de répondre à l’évolution des besoins sociaux. Il a donné naissance à plusieurs théories en urbanisme, notamment à certaines que l’on qualifie d’utopies urbaines.
Le modèle de la cité jardin4 par exemple, est le résultat de la volonté de sortir du modèle de la ville industrielle : il s’agit d’une nouvelle manière de penser la ville afin de libérer l’homme de l’emprise de la machine, de lui offrir un cadre urbain plus sain et plus satisfaisant.
La « ville radieuse »5, ville idéale selon Le Corbusier repose sur un rejet de la ville traditionnelle. Elle vise à répondre aux besoins des habitants et à créer le bien être humain en mettant à sa disposition toutes les fonctions nécessaires.
L’ouverture de la ville peut ainsi être définie comme un processus qui vise à créer des espaces urbains de qualité qui contribuent à l’avènement d’une société durable, ouverte et démocratique. Ouvrir la ville consiste donc à « améliorer le bien-être des citoyens » et à renforcer la fonction sociale de l’espace urbain.
À partir de ces exemples, on comprend que l’ouverture de la ville de Tunis consiste à la penser autrement afin qu’elle s’adapte au besoin d’une société démocratique. C’est la création d’un nouveau cadre urbain, d’une nouvelle composition urbaine qui traite l’aménagement d’un tissu urbain et d’un paysage urbain au regard des besoins de la société.
Quels sont les nouveaux besoins de la société tunisienne ?
La mise en valeur de la dimension humaine
Une ville ouverte, selon Kevin Lynch6, est une ville qui met en valeur la dimension humaine et par conséquent les différents éléments tangibles de la ville qui structurent les représentations mentales chez les individus qui sont : les voies, les limites, les quartiers et les nœuds. Cette nouvelle composition urbaine vise à proposer un milieu clair où il est facile d’identifier les éléments qui le composent grâce aux indications sensorielles et aux souvenirs, assurant ainsi « la sécurité émotive des habitants ». Le vécu de l’observateur est considéré « comme une nouvelle base de conception pour un urbanisme meilleur ».
L’ouverture… création du bien être collectif
Dans son livre Pour des villes à échelle humaine7, Jan Gehl illustre ce qui contribue à faire de notre ville, une ville ouverte, définie selon lui comme étant « une ville animée, saine, sûre et durable ».
En effet, l’urbanisme tunisien n’a jamais cessé de négliger la dimension humaine et environnementale de la ville alors qu’il accordait une attention particulière à plusieurs autres aspects comme la circulation automobile. C’est ainsi que la ville est devenue de plus en plus coupée de son environnement, tournée vers l’intérieur et de moins en moins vivante. Les Tunisiens souhaitent aujourd’hui renverser cette perspective et ouvrir la ville en mettant l’humain au centre des préoccupations de l’urbanisme.
Les Tunisiens rêvent d’une ville qui les rend heureux, une ville où le bien-être des citadins est un élément essentiel de toute action. Un endroit qui crée le bien être collectif et offre au citadin la possibilité d’entrer en contact avec la société : c’est un lieu accueillant porteur de promesses et d’interactions sociales, un endroit où les citadins se sentent en sécurité lorsqu’ils occupent l’espace public.
L’ouverture de la ville selon Jan Gehl consiste également à accorder plus d’importance, aux déplacements à pied, considérant la ville comme un espace de conversation démocratique pour les citadins : c’est un espace « utilisé et pratiqué par tous » construit pour le corps humain, un espace d’expérimentation, qui met en valeur la circulation piétonne et incite à la marche. En effet, l’un des éléments clés de la démocratie dans notre société, c’est de faire en sorte que les citoyens se rencontrent tout au long de leurs journées, et que cette diversité se croise en dehors des murs et des écrans.
La ville de Tunis connaît aujourd’hui une extension croissante. Plusieurs sites de la ville font l’objet de réflexions en matière d’aménagement et pourraient permettre de mettre en œuvre ces théories. Le site du Lac 3 (Lac Nord de Tunis) offre un choix de terrain stratégique qui se trouve à l’aboutissement des différents paysages urbains et d’un axe historique de la ville. Son aménagement conduirait en même temps à résoudre le problème de l’inaccessibilité du centre de la ville au Lac tout en profitant de ce site marginalisé et délaissé pour créer un cadre urbain fascinant.
Qu’est-ce qu’un projet ouvert et comment contribue-t-il à satisfaire aux besoins des Tunisiens ?
L’ouverture de la ville de Tunis est caractérisée par une composition urbaine qui prend en considération la dimension architecturale. C’est en ce sens qu’on parle de la notion de l’urbatecture. Appliqués à la ville, le concept et la méthode d'îlot ouvert8 théorisés par l’architecte Christian Portzamparc, permettent ainsi de créer des espaces publics supplémentaires, à l’intérieur de chaque projet et par conséquent de stimuler davantage la vie sociale dans la ville. L'îlot ouvert rassemble des bâtiments autonomes autour d’un vide. La hauteur des immeubles est limitée sans être identique d’un bâtiment à l’autre. Il rejette la mitoyenneté afin de créer des appartements dotée d’exposition multiples et de créer des échappées visuelles à l’intérieur de l'îlot. Il est caractérisé donc par un côté « plein » autonome et pourtant varié et un côté « vide » ouvert et lumineux qui présente un endroit idéale de sociabilité.
L’ouverture de la ville de Tunis dépasse donc la définition basique d’une figure en deux dimensions, un simple cadrage, un simple élément de la façade pour exprimer et concrétiser sur terrain l’idéologie de tout un peuple. Nous proposons ici une nouvelle composition urbaine, qui favorise la mixité urbaine, rompt avec le mono-fonctionnalisme et vise un rapprochement social.
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La révolution Tunisienne est une suite de manifestations durant quatre semaines entre décembre 2010-janvier 2011. ↩
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Cet article constitue un résumé d’un mémoire de fin d’études en architecture, élaboré durant l’année universitaire 2018 à l’Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis. ↩
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La Médina de Tunis est créée à l’époque Médiévale (698) par les Arabes. ↩
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La colonisation française débute en 1881 et prend fin en 1956 avec l’indépendance de la Tunisie. ↩ ↩
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La Ville Radieuse était un projet non réalisé conçu par l'architecte franco-suisse Le Corbusier en 1924 puis théorisé dans l’ouvrage La Ville Radieuse. Éléments d'une doctrine d'urbanisme pour l'équipement de la civilisation machiniste, Éditions de L'Architecture d'Aujourd'hui. ↩
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Kevin Lynch, L’image de la cité, Paris, Dunod, 1969, 222 p. ↩
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Jan Gehl, Pour des villes à échelle humaine, Montréal, Écosociété Eds, 2013, 273 p. ↩
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Florence Accorsi, L'îlot ouvert de Christian de Portzamparc, Paris, Archives d'Architecture Moderne (AAM), Ante prima, 2010, 188p. ↩