Réinventer Paris, Inventons la Métropole, Imagine Angers, Reinventing Cities… c’est désormais au rythme des appels à projets urbains innovants que vit la promotion immobilière, notamment francilienne. Si ces consultations ne représentent qu’une faible part de la production annuelle de logement, la mixité programmatique et les innovations qui les caractérisent semblent s’être diffusées pour animer durablement la production immobilière… et les modes de vie de demain.
Entre gouttes d'eau et objectifs programmatiques
Avec l’émergence des appels à projets urbains innovants (APUI) et la désignation de leurs lauréats, on assiste à un phénomène paradoxal.
D’un côté, les collectivités organisatrices des APUI s’appuient sur ces consultations pour lancer de véritables campagnes de marketing territorial : on nous rappelait lors de la dernière Journée du Grand Paris1 que J-L. Missika aborde les opérations de Réinventer Paris comme les « cartes postales du Paris du XXIe siècle ». De plus, P. Dayre (directeur de l’EPFIF) indiquait que l’objectif de ces APUI est aussi de soutenir la production de logement. À première vue, donc, les consultations ont tout d’une nouvelle manière de produire des logements. Et pourtant…
De l’autre, en creux de ce « coup de com’ » assumé par les collectivités, plusieurs acteurs soulignent la maigre contribution des APUI à la production urbaine globale. D. Alba (directrice de l’APUR, Agence parisienne d'urbanisme) relate l’importance « très relative » d’Inventons la Métropole du Grand Paris (IMGP) dans la production de logement francilien alors que dans leur retour d’expérience d’IMGP2, Partie Prenante et le Sens de la Ville3 indiquent que la consultation a contribué à seulement 15% de la production annuelle de logements… bien en-deçà de l’attente suscitée par les effets d’annonce de l’APUI.
Certes, les APUI ne constituent pas la nouvelle procédure pour produire le logement. Mais il faut être conscient qu’après le succès de Réinventer Paris, la Ville a demandé à ses Sociétés Publiques Locales (SPL) de céder leurs charges foncières dans l’esprit des APUI. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, la SEMAPA sélectionne les opérateurs de la ZAC Paris Rive Gauche sur des critères hérités des APUI : la vente ne se fait plus uniquement sur le montant de l’offre mais exige un projet innovant de la part des promoteurs. Au-delà du cadre médiatique des APUI, l’innovation se diffuse donc aux ZAC et s’inscrit dans la durée. Aujourd’hui, les promoteurs se sont organisés pour accompagner ces modes de faire dans le temps long : les directions de l’innovation et autres cellules grands projets ont fleuri chez les promoteurs de tous rangs.
Sur le plan du logement, ce n’est finalement pas le débat sur la hauteur de la contribution des APUI aux objectifs programmatiques parisiens ou franciliens qu’il faut retenir : au-delà des surfaces à bâtir, se cristallisent les innovations qui, demain, permettront aux franciliens d’habiter autrement.
APUI, l'innovation à tous les étages
En proposant une innovation déclinée en 9 volets dans le règlement de Réinventer Paris, les APUI ont stimulé la mixité programmatique : la feuille blanche qu’ont laissée les collectivités aux groupements a incité les promoteurs à vouloir « cocher » toutes les « cases » de l’innovation. On pense notamment aux slogans tels que « l’innovation se place d’abord dans le champ des usages », « l’innovation c’est la participation et la concertation »4 mais aussi « l’innovation doit contribuer à l’attractivité et au rayonnement de Paris » ou encore « l’innovation c’est faire mieux et plus vite ». Si cette logique a certainement conduit la profession à un « innovation-washing », elle a eu la vertu de faire exploser le modèle des quartiers monofonctionnels des années 2000-2010.
Lorsqu’on déambule sur l’Ile de Nantes, les quartiers de la Confluence à Lyon ou des Bassins à Flots à Bordeaux, c’est la même ville que l’on arpente. Partagée par des programmes monofonctionnels de logements, bureaux et équipements publics, cette urbanité a produit des îlots fermés dont les rez-de-chaussée peinent à s’animer. Cette « ville chiante », comme s’amusent à la désigner certains urbanistes, est caractéristique d’une conception du logement découplée de sa valeur d’habitat.
Il faut bien se convaincre que si le logement désigne la cellule de vie, l’habitat renvoie aussi aux services et à l’environnement urbain attenants au logement. Dans les années 2000-2010, la ville des grandes ZAC franciliennes et métropolitaines avait réduit « l’habiter » à la vie dans le logement : les rez-de-chaussée de l’Ile de Nantes sont majoritairement occupés par des activités de service (et non des commerces ouverts sur la rue), si bien que la SAMOA a lancé en 2017 une réflexion sur quatre ans pour le déploiement de nouveaux usages dans les opérations immobilières de son projet urbain.
À l’inverse des morceaux de ville monofonctionnels, les projets urbains innovants concentrent une diversité de programmes qui anime aussi bien les logements que les services et aménités qui les encadrent. En « réinventant » la mixité programmatique, les APUI ont eu la vertu de redonner de la profondeur à l’habiter. L’expression de « logement augmenté », présente dans plusieurs offres d’APUI, fait d’ailleurs écho à cette réconciliation entre le logement et son lot de services et son environnement urbain.
Accompagner les modes de vie : du projet au désir ?
Si l’innovation des « Réinventer » a fait ré-émerger des projets immobiliers plus mixtes, l’évolution sur l’habitat se joue aussi à l’échelle du logement. Bien que les formes architecturales des logements aient peu fait l’objet de réflexions poussées, la question des modes de vie a considérablement orienté les projets des promoteurs. Parmi les innovations sur le logement, deux méritent qu’on s’y penche avec attention : le co-living et le nudge.
Dans un esprit éloigné des logements « T3 » ou « T4 » des ZAC, le co-living5 propose à ses occupants des studios privatifs adossés à un grand espace de travail commun. Si le co-living a fait une entrée remarquée dans les programmes immobiliers, c’est parce que ce mode de vie est largement soutenu par les collectivités maitresses des APUI : le terme figure dans l’abécédaire de l’innovation du fameux « petit livre rouge »6 de Réinventer Paris. Récemment, les projets Symbiose (Sogaris, Poste Immo et Icade) et 17&CO (BNP Paribas Real Estate) ont été lauréats d’Inventons la Métropole pour développer plus de 4.000 m² de co-living chacun. Pourtant, deux points alimentent les critiques des APUI : d’une part, la demande de co-living en Île-de-France est timide (on ne dénombre qu’une dizaine de sites). Par ailleurs, le co-living semble réservé à une « classe créative », composée de startuppers et freelancers, qui ne représente aujourd’hui qu’une maigre part de la population.
À l’instar du co-living, le nudge a été déployé sur plusieurs projets innovants. Le projet « Nudge »7 d’Ogic et Altarea Cogedim, lauréat de la consultation Masséna-Chevaleret (appel à projets de la SEMAPA hérité de l’esprit APUI) a permis à l’équipe de développer un immeuble où les occupants seront « guidés » dans leurs comportements du quotidien à l’aide de dispositifs « ludiques et discrets ». L’idée consiste à accompagner les modes de vie vers des comportements écoresponsables, par exemple en allumant progressivement un voyant rouge lorsque le volume d’eau consommé lors d’une douche dépasse le seuil du raisonnable. Si l’objectif de réduction de la consommation énergétique semble louable, la réutilisation possible des données générées par le dispositif pose question.
Ce qui fédère le co-living et le nudge, c’est finalement leur caractère novateur : ces modes de vie n’ont pas (ou très peu) connu de précédent sur le territoire francilien. Ces innovations dans le logement mettent donc en œuvre une logique d’offre au détriment d’une logique, plus classique, de demande. Demain, les livraisons de Réinventer Paris devront accueillir des usagers qui n’ont pas toujours désiré habiter l’innovation.
Nous venons de le voir, les APUI ont permis de développer une ingénierie de conception innovante pour l’habiter. Aujourd’hui, il s’agit de poursuivre la structuration de la « filière innovation » via une ingénierie de suivi. En effet, le défi des consultations est désormais de concrétiser les modes de vie pensés en réunion de groupement dans les projets lauréats. Avec les APUI, on n’est plus dans un habiter qui passe « du désir au projet », mais bien « du projet au désir ».
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Notes issues de la 9e Journée du Grand Paris de janvier 2018 à l’École d’Urbanisme de Paris : wwwetu.utc.fr/~murerale/pdf/JGP_complet.pdf ↩
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Plus de 150 participants aux groupements candidats à IMGP (promoteurs, architectes, bureaux d’études, programmistes...) ont répondu à un questionnaire en ligne en décembre 2017. Le retour d’expérience est disponible sur fr.calameo.com/read/0055022081d47f720f6f9 ↩
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Le Sens de la Ville et Partie Prenante sont des agences de conseil en stratégie urbaine et territoriale qui répondent aux APUI aux côtés des promoteurs tout en partageant leurs réflexions sur cette nouvelle fabrique urbaine. ↩
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Notons que la forme juridique de Réinventer Paris ne permettait pas aux groupements privés en concurrence de réaliser des réunions publiques, brouillant le périmètre d’action des agences de concertation. ↩
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Bien que l’on ait tendance à voir le co-living comme une extension de la colocation, c’est plutôt du co-working qu’il nous vient. La société new-yorkaise WeWork, après avoir développé des dizaines de co-working à travers le monde, a lancé la société-sœur WeLive, qui redéfinit l’espace de vie autour de l’espace de co-working. Le Moniteur consacrait un article au co-living en mai 2018. ↩
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Réinventer Paris : Appel à projets urbains innovants, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 927 p., 2016. ↩
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Le projet lauréat : altareacogedim.com/Ogic-et-Altarea-Cogedim-remportent.html ↩