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Écho

Projets urbains participatifs dans les petites villes

Encapaciter les élus et les architectes

En 2020, l’architecte-urbaniste et chercheuse Ségolène Charles présentait sa thèse sur les projets urbains participatifs locaux. Dans un ouvrage paru en 2023, celle qui anime désormais le Conseil de développement de Nantes Métropole revient sur ses conclusions à destination des élus et des architectes-urbanistes : du besoin de moyens au renouvellement des pratiques, de la réinvention des rapports à l'intercommunalité à la critique d’un Etat centralisateur. 

Sur-Mesure : Quel a été ton parcours et qu’est-ce qui t’a mené à ce sujet de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d'œuvre dans les projets urbains participatifs des petites villes françaises ?

Ségolène Charles : J’ai toujours cherché à avoir la double casquette de praticienne et de chercheuse. Je suis convaincue que la recherche nourrit ma pratique et inversement.

Mon projet de fin d’études en architecture m’a amenée à m’intéresser à la participation citoyenne. Il portait sur la mobilité durable et le participatif apparaissait comme nécessaire pour engager des transitions.

J’ai poursuivi avec un mémoire en urbanisme puis je me suis engagée dans la recherche en me concentrant sur les enjeux de participation dans les petites communes. Je voulais être dans le concret : en bénéficiant d’un contrat de Convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), j’ai pu intégrer une agence d’architecture comme architecte-urbaniste.
Le monde de la participation citoyenne s’avère être accueillant pour les profils de praticiens-chercheurs ! A l’époque - nous sommes en 2015, les petites villes étaient délaissées les chercheurs et le rôle de la maîtrise d’ouvrage dans ces communes l’était encore plus. Or dans l’agence dans laquelle je débutais, nombre de missions urbaines portaient sur ces petites villes1. C’est le cas de beaucoup d’agences d’ailleurs, la France étant caractérisée par son émiettement communal. J’ai donc choisi un sujet qui avait besoin d’être regardé de plus près.

J’ai accompagné douze projets urbains participatifs au fil des années. Trois ont constitué les cas d’études de ma thèse, puis de mon livre L'élu, le citoyen et l'architecte. Le projet urbain participatif (aux éditions Le Bord de l’Eau, 2023).

Mon premier objectif était de m’interroger sur les situations de participation citoyenne observés à l’agence en considérant les points de vue de la gouvernance, des postures et des ambitions de la maîtrise d’ouvrage. Mon second objectif était de comprendre de quelle manière nous pouvions nous-mêmes, en tant que praticiens, monter en compétences collectivement en participation citoyenne.

Je bénéficiais pour cela de l’aide du Laboratoire Espaces Travail de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette dont je fais partie.

Sur-Mesure : Les trois cas d’études qui servent de base à ton analyse n’ont pas été choisis au hasard : aucune des communes n’avait d’expérience de participation citoyenne. Pour autant, ces cas t’ont permis d’interroger deux enjeux transversaux à toutes les petites villes françaises : l’intercommunalisation et le manque de moyens.

Ségolène Charles : Il s’agissait en effet de trois villes2 qui contractaient avec l’agence pour les accompagner en conception ou en programmation sur des projets urbains participatifs mais dont les élus étaient dépourvus sur les questions de participation. Ils n’en avaient jamais fait auparavant. Que se passe-t-il lors d’une première expérience participative avec des élus qui n’ont jamais fait de participation ? Comment font des élus qui ne bénéficient pas de l’ingénierie d’une métropole dotée d’un service dédié à ce sujet ?

Ensuite, et c’est un autre point qui m’intéressait, chacune des trois petites communes se trouvait dans une situation particulière par rapport à leur intercommunalité et chacune de ces situations venait impacter leurs projets urbains respectifs. Décrivons-les brièvement :

_ A Arqueville, une mission de maîtrise d'œuvre portant sur le réaménagement du centre-ville (trois voies et une place). Au cours de la mission, Arqueville fusionne avec d’autres communes de l’intercommunalité pour former une commune nouvelle.
Le dispositif participatif final pour le réaménagement du centre-ville ne réussit pas dépassé le niveau de la consultation, bien en deçà des ambitions annoncées par la commune et de celles portées par l’agence.
Alors que cette démarche participative peine à s’installer, la MOA change de référent avec l’instauration de la commune nouvelle. Cette discontinuité participe à fragiliser le projet.

_ A Courray, une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour concevoir le plan-guide de la ville, après une succession de projets architecturaux sans continuité ni vision urbaine.
Courray dépend d’une intercommunalité dotée d’une ingénierie de la participation. Son maire prend cependant le parti de porter le projet urbain participatif sans mobiliser cette ingénierie. Il réussit à atteindre le niveau de la co-production, voire de la co-décision avec la mise en place d’un panel citoyens pour l’élaboration du plan-guide et des expérimentations d’aménagement à l’échelle 1.

_ A Maregon, enfin, une mission d’accompagnement d’un conseil citoyen tout juste constitué dans le nouveau quartier prioritaire de la ville et qui souhaite repenser les espaces publics du quartier. L’intercommunalité désigne le conseil citoyen comme donneur d’ordre de l’étude commandée à l’agence. Et l’agence de se demander dès le début de la mission la place qu’entendent prendre les élus et les techniciens, l’intercommunalité et la ville dans ce projet.
Maregon fait alors partie d’une intercommunalité dont elle était la ville centre. Le maire, présent depuis quinze ans, est aussi le président de l’intercommunalité. Une personnalité notable, plutôt “réticente” à la participation.
Pour ce projet, le maire laisse le pilotage au directeur général des services (DGS) de la communauté de communes et à la chargée de lien social de cette même entité. La présence réduite des élus crée une situation de blocage mais le dispositif mis en place réussit à être finalement ambitieux dans une action collective avec le conseil citoyen.

Parmi mes conclusions, j’observe que si l’intercommunalisation complexifie la gouvernance, elle a le mérite d’apporter des outils et d’ancrer des méthodes.

A Courray par exemple, l’intercommunalité n’a pas été mobilisée par la ville. C’est le prestataire qui a porté et conçu l’ingénierie, mais la dynamique de participation s’est effondrée une fois la mission aboutie. Il aurait dû y avoir une mission de maîtrise d'œuvre participative.

Dans mon travail au quotidien (ndlr : à l’animation du Conseil de développement de Nantes Métropole depuis fin 2022), je me demande comment arriver à articuler les enjeux métropolitains et d’intercommunalité avec les projets des communes qui la composent: sans être descendants, en mettant à disposition l’ingénierie et en collaborant. C’est une question ouverte.

Mon autre grand constat, c’est bien entendu que ces petites villes manquent cruellement de moyens.

J’y reviens en détails dans le livre : baisse des dotations, suppression de taxes locales, manque d’accompagnement dans la formation et, surtout, indemnisation au rabais des élus… Et j’ajouterai à cette situation critique une autre dimension : la logique d’appel à projets qui émane des organes de l’Etat ou associés. Les villes bénéficient de moyens si, en un temps record, elles répondent à un appel à projets sur tel ou tel sujet. Je fais un parallèle avec le milieu de la recherche, mais il faut une continuité des moyens au début des mandats, sans quoi les communes sont encore plus fragilisées. L’Etat centralisateur doit redonner des moyens et de la confiance au local. Les maires sont “au bord de la crise de nerf” (Foucault, 2020). Sur cette toile de fond assez sombre, il convient de se demander comment les élus peuvent, en plus de tout, porter des démarches participatives.

Sur-Mesure : Revenons sur les trois démarches participatives que tu as observées.
Dans aucun des cas présentés, la participation n’a été considérée comme un enjeu fondamental pour améliorer le projet urbain, au plus comme un outil “pour la paix sociale”.

Ségolène Charles : Les trois études de cas partagent un contexte commun : l’absence d’expérience de la participation.
Par ailleurs, nous connaissons tous des élus réticents à la participation - le maire de Maregon en donne un exemple assez classique, tout comme il y a de nombreux élus qui croient fermement à son intérêt en soi pour les projets.

Dans mon étude, ce dont je voulais rendre compte, c’est la manière dont ces premières expériences relèvent d’un calcul bénéfices-risques par les élus.

Dans le cas de Courray, le maire était pris dans un conflit d’acteurs au sein du territoire : il est sous pression. Avant son mandat, les plans guide se sont succédés sans logique. S’il n’a pas mesuré l’intérêt de la participation pour alimenter le projet urbain en tant que tel, son approche n’en reste pas moins positive.
Pour une partie des élus, il ne s’agit pas d’instrumentalisation mais d’un manque de connaissance. Il leur faut, d’une certaine manière, une bonne première expérience à partir de laquelle ils se disent qu’ils peuvent engager une dynamique de participation de manière pérenne.
Par ailleurs, peut-être suis-je un peu cynique, mais n’est-il pas normal que les élus cherchent à y trouver leur compte ? L’acceptabilité sociale peut être considérée comme une porte d’entrée. A ceux qui les accompagnent, les prestataires, de mettre en valeur les autres bénéfices qu’ils peuvent en tirer en alimentant le projet, tout en étant sincères dans la démarche.

Ce constat des trois cas que j’ai exposés est celui d’élus qui découvrent la participation. C’est encore très classique en France. Sans portage politique, il est impossible de mettre en place de démarche de participation. Mais s’il y a une volonté - même sans expérience, et qu’il y a, en face, des concepteurs bien formés qui conçoivent des méthodes pérennes, il est possible d’accompagner de premières initiatives participatives. Et l’élu de poursuivre cette démarche avec d’autres prestataires et avec ses propres services.

Sur-Mesure : Qu’en est-il du retour des citoyens sur ces trois expériences. Comment les ont-ils vécues ?

Ségolène Charles : J’en parle moins dans le livre, car je souhaitais me concentrer sur les élus. Que ce soit en urbanisme ou en sciences politiques, beaucoup de recherches ont été conduites sur la place des citoyens dans les projets participatifs.

Schématiquement, voici ce qui me semble avoir été leurs ressentis à l’issue de ces projets :

_ A Arqueville, l’expérience s’est retrouvée avortée. Soi-disant ambitieuse, elle s’est finalement résumée à une balade urbaine et un atelier sur table. Je pense que cela a été un non-évènement.

_ A Courray, il y avait un portage politique. Par ailleurs, le panel citoyen que nous avons suivi jusqu’au bout a été très positif sur son expérience. Mais depuis, rien n’a été fait si je ne me trompe pas. Il aurait fallu, a minima, qu’une partie du plan guide soit déployée. Il doit y avoir de la déception.

_ A Maregon, le projet urbain a pu se concrétiser. Le directeur des services généraux avait une forte ambition et il avait aussi l’oreille du maire. Son implication et celle de la chargée de lien social ont été fondamentales. Une citoyenne, intégrée au comité de pilotage, a également eu un impact fort. Ensemble, il a été possible de transformer l’essai participatif : un parc a été créé qui a permis de désenclaver le quartier. Malheureusement depuis, la chargée de lien social et le DGS ont quitté leur poste et je crains que la dynamique de participation en ait été fortement réduite. Il aurait fallu que ce soit l’élu qui porte le projet pour que la participation soit intégrée plus automatiquement dans les démarches suivantes.

Sur-Mesure : Enfin, qu’as-tu observé de la pratique de la participation citoyenne par tes pairs architectes ?

Ségolène Charles : Je me souviens de cette première expérience où des élus avaient dit : “nous voulons co-produire, aller loin, innover”. L’équipe d’architectes était ressortie très enthousiaste de cet échange initial et puis finalement, rien ne s’est passé comme prévu. Plus tard, ils ont compris que derrière “co-production”, les élus entendaient “consultation”.

Nous avons beaucoup appris de nos expériences de terrain. Parmi les freins observés au départ, l’absence d’identification de ceux qui portaient en réalité le pouvoir politique dans les projets urbains.

L’agence a exploité les résultats de ma thèse et dessiné un jeu pour les collaborateurs. Ce jeu visait à permettre de saisir ceux, parmi les élus qui influaient le plus sur le projet, la “garde rapprochée" ainsi que les cercles d’influence autour du projet. Progressivement, dans une démarche de réflexivité, l’agence a ensuite développé des méthodes et des outils pour mieux accompagner ces maîtrises d’ouvrage.

Plus en amont, il faut comprendre que le pourcentage d’architectes qui se forment aux questions de participation est minime.

Il y a certes quelques formations courtes, mais nous sommes loin du développement de la professionnalisation de la participation chez les urbanistes et les praticiens formés aux sciences politiques. Or si nous observons les marchés, le fait de maîtriser et de vendre dans nos missions l’accompagnement à la participation permet de gagner d’autres parts de marché (Jennifer Leonet, 2018).

Et la question des marchés est centrale pour les architectes. Leurs missions se voient de plus en plus réduites. Le métier d’architecte est en plein questionnement. Dans sa troisième édition à paraître, Profession architecte, un des livres de référence pour les architectes, intègre un nouveau chapitre. Il s’intitule “les voies de reconquête” 3. La participation en est une, avec la programmation. En 2023, il était temps ! Les deux sont très liées.

A Maregon, l’agence a été sollicitée pour une mission de maîtrise d'œuvre. En regardant de plus près, il est apparu que le besoin que le besoin portait sur de l’assistance à maîtrise d’ouvrage en programmation. Ce qui veut dire qu’il faut être, en tant qu’architecte, en capacité de faire de la programmation. Et pour concevoir la programmation, il faut mobiliser la participation. Chez les architectes, cela nécessite d’ouvrir les écoutilles du côté des compétences et on observe, dans les jeunes générations, de plus en plus de profils “hybrides”. Et même en phase de maîtrise d'œuvre, certaines choses peuvent être ré-interrogées avec les habitants. Dans la mesure du techniquement possible, quand l’observation collective montre que certaines choses ne marchent pas, il est toujours possible de les faire évoluer.

Sur-Mesure : Dans cette phase d’apprentissage par les élus et les architectes, tu recommandes de clarifier et de stabiliser le processus décisionnel participatif. Comment fait-on ?

Ségolène Charles : Déjà, je pars du principe que la participation, ce n’est pas la politique du bac à sable. En tant que chercheure, je considère qu’une démarche participative doit avoir, a minima, une ambition de consultation sur des enjeux qui influent fondamentalement la décision au bénéfice du projet. Nous en sommes malheureusement loin.

L’ambition de la démarche de participation, c’est une question que le prestataire doit absolument se poser. Quelle est la réalité de la demande ?

Le sujet du processus décisionnel pour le participatif se pose aussi à cet endroit. Rares sont les cahiers des charges dans lesquels il y a une ligne qui dit : “nous allons prendre un temps de stabilisation des acteurs, des comités de pilotage, de la gouvernance”. Si nous reprenons le cas de Courray, il y avait un jeu d’acteurs opaque entre la Mairie et la paroisse. A refaire, il aurait fallu prendre le temps de décrypter ce jeu d’acteurs, comprendre qu’il y avait une paroisse influente, mener un long entretien avec le maire en off. Cela n’a pas été fait parce que ce n’est pas dans la culture des architectes.
Je milite pour que la science politique soit enseignée en architecture : comment fonctionne une commune ? Quels sont les jeux d’acteurs ? Comment influent-ils le projet ? Ces questions doivent être adressées, même sans projet participatif.
Bien entendu, la participation accentue le besoin de poser le processus puisqu’un rouage s'ajoute dans la mécanique des acteurs. Il convient de stabiliser la gouvernance avant de lancer les projets, affirmer une gouvernance claire dans laquelle le mandat des citoyens est clair lui aussi.

Pour finir sur une note positive, ce qui me fait garder espoir - et j’en parlais à la sortie de ma thèse dans ces colonnes, c’est que les petites villes expérimentent malgré ce contexte morose. Elles sont en difficulté, mais elles se réinventent. Elles sont plus flexibles et apportent des clés plus évidentes et moins “procédurielles” que les plus grandes villes. Il faut continuer à en faire des sujets de recherche et d’expérimentation !

Bibliographie

FOUCAULT M., 2020, Maires au bord de la crise de nerf, Editions de l’Aube

LEONET J., 2018, Les concepteurs face à l’impératif participatif dans les projets urbains durables. Les écoquartiers en France, Thèse de doctorat, Paris, Ecole Nationale Supérieure de Paris-La Villette

MAZEAUD A. 2012, “Administrer la participation : l’invention d’un métier entre valorisation du militantisme”, Quaderni, no 79 : 45‑58.

MAZEAUD A. & NONJON M., 2013, Professionnels de la participation et fabrique de la norme participative locale in colloque Circulation et Appropriation des normes de l’Action locale, Montpellier, Art-Dev, Agropolis

MAZEAUD A. & NONJON M., 2015, “De la cause au marché de la démocratie participative”, Agone 1, p. 135-152


  1. Considérant la définition suivante : “(...) nous considérerons la « petite ville » dans cette fourchette démographique la plus communément admise par la communauté scientifique et l’INSEE (Edouard, 2008), c’est-à-dire une entité démographique (à l’échelle communale) entre 3 000 et 20 000 habitants avec des dénominateurs communs économiques, fonctionnels, d’aménagement et sociaux.
    Moins fondée sur les aspects démographique, typo-morphologique ou géographique, notre approche de la petite ville se centrera sur la faible dotation en ingénierie de projet en urbanisme qui la caractérise (...)”, in CHARLES, S.,“L’élu, le citoyen et le praticien. Chroniques urbaines. L'expérience du projet urbain participatif dans les petites villes”, Thèse de doctorat en Architecture, Urbanisme et Environnement, sous la direction de Jodelle ZETLAOUI-LÉGER et de Loïc BLONDIAUX, Paris Conservatoire National des Arts et Métiers, 2020, p.105  

  2. ndlr : les noms des villes ont été changés par la chercheuse pour les anonymiser 

  3. sous la direction de CHESNEAU I., 2023, Profession Architecte, troisième édition (à paraître), Editions Eyrolles 

Pour citer cet article

Ségolène Charles, « Projets urbains participatifs dans les petites villes », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 20/09/2023, URL : https://revuesurmesure.fr/contributions/projets-urbains-participatifs-dans-les-petites-villes