Crise environnementale et sociale, rareté foncière, difficultés du secteur de la construction, évolutions démographiques et, plus spécifiquement, vieillissement de la population : les grandes métropoles sont aux prises avec un contexte aux facteurs critiques multiples. Professionnels et collectivités se rejoignent sur un même constat : il faut faire évoluer les outils de la fabrique urbaine.
Pour la Ville de Paris, cela passe par la révision des règles d’urbanisme et de son document le plus central : le Plan local d’urbanisme (PLU). Arrêté en juin 2023 par le Conseil de la Ville de Paris aux termes de deux années de négociations et de concertations, le futur PLU bioclimatique conduit ainsi à faire bouger les lignes de la question urbaine, tant au niveau politique qu’opérationnel. Il ouvre la voie à des bouleversements de fond.
Sur-Mesure a rencontré Charles-Antoine Depardon, architecte-urbaniste et conseiller d’Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Maire de Paris en charge de l'urbanisme, de l'architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques.
Sur-Mesure : L’élaboration du futur PLU a été l’occasion de dresser un large panorama des enjeux contemporains de l’urbanisme parisien. Quelle sont, en forme de bilan, les enseignements qui peuvent être tirés d’une telle procédure ?
Charles-Antoine Depardon : En effet, il y a une première lecture majeure : celle du consensus politique inédit qui a été construit autour de ce PLU bioclimatique. Même si, face à la crise écologique, tous les bords politiques sont relativement en accord sur la nécessité d’agir, il n’en restait pas moins de fortes nuances dans l’ambition associée par chacun, notamment entre la majorité et l’opposition municipale. Ce qui me paraît intéressant, c’est que l’accord porte sur un document aussi central pour toute la politique d’urbanisme de la ville. Rappelons que le PLU représente l’un des plus grands pouvoirs aux mains des collectivités, celui des autorisations d’urbanisme. Qu’une majorité se dégage sur sa future version est un signal très important !
Ensuite, ce nouveau PLU, en innovant, a permis de dépasser certaines controverses ou du moins propose des solutions. Cela concerne notamment le débat sur la grande hauteur, avec des directives claires sur les limites et les conditions, ainsi que la surélévation ou l’emprise au sol. Parmi ces débats structurants, une autre mesure me paraît essentielle : désormais, le règlement appelle à ne plus démolir et à systématiquement privilégier la réhabilitation.
C’est toute une filière à accompagner, avec plus de finesse.
Enfin, une troisième lecture de cette démarche tient dans les nouvelles modalités opérationnelles qu’elle initie : un urbanisme qui sera désormais principalement le fait d’une somme de projets ponctuels plutôt que celui de grandes opérations tels que nous en avons connues par le passé. Cela veut dire que tous les porteurs de projets, même les plus modestes, doivent monter en compétence. C’est toute une filière à accompagner, avec plus de finesse.
Sur-Mesure : Tout en réaffirmant des principes du document précédent, ce PLU bioclimatique engage des évolutions majeures dans la manière de faire la ville : après un urbanisme de grandes opérations, puis un autre marqué par une série d’appels à projets urbains, quelle est la spécificité du cycle qu’inaugure le futur PLU bioclimatique ?
Charles-Antoine Depardon : Sans remonter au premier règlement d’urbanisme de Paris, qui date tout de même de 1607 1, il est pertinent de replacer cette procédure dans un contexte historique. Depuis les années 1990, nous avons connu à Paris, un cycle de grandes Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) comme celle de Paris Rive Gauche. En modernisant les Plans d’occupation des sols (POS) et en instaurant les PLU, le législateur a octroyé aux collectivités des moyens renouvelés : c’est tout le travail conduit à Paris entre 2001 et 2006 qui a ouvert une nouvelle ère, à travers un urbanisme qui s’appuie davantage sur la planification.
Chaque règle doit viser à garantir une qualité exceptionnelle du projet, tout en améliorant la qualité du contexte urbain environnant.
Cette planification, négociée, s’est enrichie des apports successifs des appels à projets urbains innovants, tels que « Réinventer Paris », et de ZAC plus récentes, telles que celle de Saint-Vincent-de-Paul, présentant des cahiers des charges plus ouverts.
Avec le PLU bioclimatique, la raréfaction du foncier et donc le retour en force des projets « diffus », nous assistons peut-être à l'aube d'un nouveau cycle. Il repose sur une rédaction minutieuse, perspicace et parfois audacieuse du règlement, tirant les bénéfices des appels à projets, avec un principe directeur clair : chaque règle doit viser à garantir une qualité exceptionnelle du projet, tout en améliorant la qualité du contexte urbain environnant.
Il a fallu trouver les moyens de créer autrement de nouvelles complémentarités pour des résultats plus ambitieux. C’est un urbanisme orienté vers la création de synergies, d’externalités positives.
Sur-Mesure : C’est une façon effectivement novatrice d’envisager la démarche de planification publique et le rôle des opérateurs urbains. Pourrions-nous parler d’un nouveau paradigme de la production de la ville ?
Charles-Antoine Depardon : Si le cycle précédent est caractérisé par de très grands projets contractuels, d’initiative publique, nous entrons aujourd’hui dans un cycle où la granularité des projets sera plus fine.
Dans cette bascule, peut-être perdons-nous une partie des péréquations économiques possibles à l’échelle de grandes opérations : prenons l’exemple de Paris Rive Gauche, où la charge foncière d’un projet permettait de financer l’équipement ou l’infrastructure nécessaire à la réalisation d’un autre. Dans le PLU bioclimatique, il a fallu trouver les moyens de créer autrement de nouvelles complémentarités pour des résultats plus ambitieux, notamment en matière d’environnement ou de mixité. C’est un urbanisme orienté vers la création de synergies, d’externalités positives.
Ce qui est porté à l’échelle de la parcelle doit apporter à l’ensemble du quartier : retrouver de la pleine terre ou planter plus d’arbres sur une parcelle afin de faire baisser l’îlot de chaleur urbain dans le quartier ; mieux gérer les eaux de pluie pour limiter les risques d’inondation ; créer du logement social dans un immeuble, pour favoriser le retour de familles dans le quartier et stimuler l’activité commerciale ; avoir un rez-de-chaussée actif et accueillir plusieurs fonctions dans un même immeuble, pour enrichir la dynamique du quartier. Désormais, les autorisations d’urbanisme se baseront sur la capacité d’un projet à contribuer à l’amélioration générale de la ville.
Nous avons même pu, pour la première fois dans un règlement d’urbanisme, aller au-delà d'une analyse limitée à la parcelle. C’est une autre avancée majeure dans une réglementation des synergies des fonctions urbaines.
En stipulant dans le règlement d’urbanisme que tout projet doit apporter un bénéfice tangible aux riverains et à la ville pour être autorisé, on commence à amorcer ce changement.
Sur-Mesure : Ces synergies envisagées à travers le futur PLU n’ont de portée réelle que si elles se multiplient : au-delà de la rédaction de la règle, qu’est-ce ce qui devra accompagner ces ambitions ?
Charles-Antoine Depardon : Il va falloir radicalement changer de pratiques et d’outils pour mieux faire comprendre les transformations à venir de la ville. Les riverains sont nombreux à exprimer des réserves sur d’éventuelles constructions dans leur environnement immédiat. L’industrie immobilière - et les collectivités en font partie - n’est pas toujours à la hauteur des exigences de ceux qui vivent dans les villes denses vis-à-vis des projets qui émergent. La durée de réalisation d’un projet immobilier, couplée avec le temps nécessaire pour obtenir un permis de construire, crée un décalage entre les attentes des riverains et la réalisation effective des projets.
En stipulant dans le règlement d’urbanisme que tout projet doit apporter un bénéfice tangible aux riverains et à la ville pour être autorisé, on commence à amorcer ce changement. Mais pour y arriver, nous devons faire confiance aux porteurs de projets d’urbanisme pour définir et prouver cet apport. D’autres outils sont nécessaires pour accompagner ce changement et ne peuvent se limiter à l'aspect règlementaire. Cette réflexion en cours pose nécessairement la question de ce que l’on met derrière la valeur d’un projet immobilier.
Les projets de surélévations sont rares, ils sont complexes à mettre en œuvre. Mais face à l’urgence climatique, la surélévation doit être réinterrogée et favorisée… à condition qu’elle soit, encore une fois, porteuse d’externalités positives.
Sur-Mesure : Concrètement, pourriez-vous illustrer un contexte d’application urgente de ces nouveaux référentiels à Paris ?
Charles-Antoine Depardon : Un exemple intéressant : le sujet de la « surélévation », élément crucial et historique de l'urbanisme parisien, soulève aujourd'hui un défi complexe à la croisée des sphères politique et technique. Profondément ancrée dans le paysage urbain, tant dans les quartiers faubouriens que dans l'architecture haussmannienne - comme en témoigne le règlement de 1907 qui a encouragé l'ajout d'étages supplémentaires, visibles notamment sur les larges avenues proches de l'Opéra - la surélévation a du mal à être acceptée.
Il me parait bon de rappeler les bénéfices potentiels de la surélévation pour l'évolution urbaine de Paris. Elle représente une solution stratégique pour répondre à la pression croissante du marché du logement sans détruire de la pleine terre. D'autre part, elle constitue un levier d'adaptation face au changement climatique, en améliorant et en optimisant l'habitat existant.
Pourtant, les projets de surélévations sont rares, ils sont complexes à mettre en œuvre pour de petits porteurs de projets et se heurtent à des obstacles juridiques et patrimoniaux. Mais face à l’urgence climatique, la surélévation doit être réinterroger et favorisée… à condition qu’elle soit, encore une fois, porteuse d’externalités positives.
Il est essentiel d'avoir une puissance publique en urbanisme qui soit non seulement régulatrice mais aussi capable de mobiliser et canaliser le dynamisme de l’industrie.
Sur-Mesure : Ce nouveau PLU n’induit donc pas seulement un repositionnement de la puissance publique sur la chaîne de l’aménagement, il appelle à de nouveaux métiers des opérateurs publics et privés. Comment les soutenir ?
Charles-Antoine Depardon : À Paris, plusieurs acteurs parapublics et publics ont émergé durant les mandatures précédentes, l’Agence parisienne du climat (APC) ou Paris&Co par exemple. Ces structures, dotées d'une grande agilité, sont en mesure de mobiliser des fonds auprès d’acteurs privés tout en collaborant étroitement avec les élus et l’administration et de transformer directement la ville. Les réunions publiques organisées par l’APC par exemple font salle comble.
De jeunes entreprises privées, Upfactor, Villes Vivantes ou Iudo par exemple, apportent une dynamique nouvelle aux questions soulevées par la ville dense. Ces entreprises, dès leur création, se sont focalisées sur la création de projets urbains à externalités positives, avec des marges peut-être plus faibles, mais capables de s’insérer dans le tissu urbain existant.
Il est également crucial d'accompagner l’évolution des acteurs traditionnels : les architectes et urbanistes, les associations citoyennes, les notaires, les promoteurs immobiliers… pour n’en citer que quelques-uns.
Il est essentiel d'avoir une puissance publique en urbanisme qui soit non seulement régulatrice mais aussi capable de mobiliser et canaliser le dynamisme de l’industrie.
Nous nous intéressons de près à ces évolutions et accompagnons ces acteurs à travers l'adoption du PLU bioclimatique et de ses principes fondamentaux : la mobilisation de tous pour le climat et le logement. Mais ne nous y trompons pas, ce « nouveau paradigme » implique un travail encore plus important pour les collectivités : coordonner les actions de tous les acteurs tout en accompagnant la transition de certains métiers. Il est essentiel d'avoir une puissance publique en urbanisme qui soit non seulement régulatrice mais aussi capable de mobiliser et canaliser le dynamisme de l’industrie immobilière.
Sur-Mesure : Les principes réglementaires du PLU bioclimatique et la posture de la puissance publique qui l’accompagne, apportent des réponses aux deux principales formes de rejet des projets urbains parisiens : les critiques contre le modèle des grandes opérations d’aménagement et le NIMBY 2, c’est-à-dire l’opposition systématique à toute construction.
Est-ce que les apports du PLU bioclimatique vous semblent en mesure de tracer une nouvelle voie pour un urbanisme en contexte métropolitain ?
Charles-Antoine Depardon : Le PLU bioclimatique ouvre peut-être une nouvelle ère en cherchant à concilier le développement urbain avec des préoccupations environnementales et sociales plus larges, en mettant l'accent sur la qualité de chaque projet venant transformer la ville, opération après opération. Cette approche se concentre sur des projets plus petits, intégrés et respectueux du tissu urbain existant, tout en répondant aux enjeux climatiques et sociaux.
Cependant, l’outil PLU ne peut pas tout, et après trois ans de conception du PLU bioclimatique, il me semble crucial que le législateur introduise une plus grande flexibilité dans la modification des règlements d'urbanisme. Cette flexibilité est nécessaire pour s'adapter rapidement aux défis urbains changeants, d’introduire une véritable capacité d’évaluation et de correction des politiques d’urbanisme.
La transformation bioclimatique de Paris est intrinsèquement liée à celle de la métropole du Grand Paris.
Par ailleurs, la réussite de la transformation bioclimatique de Paris dépendra en grande partie de notre capacité à collaborer et à créer des synergies avec les communes avoisinantes et l'ensemble de la métropole : le PLU bioclimatique, bien qu'innovant pour Paris, ne peut pas être une initiative isolée. Son véritable potentiel réside dans sa capacité à inspirer et à être intégré dans une approche métropolitaine plus large. La transformation bioclimatique de Paris est intrinsèquement liée à celle de la métropole du Grand Paris.
En reconnaissant humblement que le chemin à parcourir est encore long et plein de défis, nous pouvons espérer que le prochain PLU bioclimatique sera non seulement parisien, mais offrira également une vision partagée pour l'avenir de notre région urbaine dans son ensemble.