La ville se transforme au gré des décisions prises par les politiques, des visions projetées par les urbanistes et des univers déployés par les architectes et les paysagistes. En mobilisant des enjeux économiques et sociaux de grande envergure, la transformation urbaine s’inscrit dans des échelles de temps et d’espace qui dépassent rapidement le quotidien d’un acteur urbain bien souvent oublié : l’habitant.
Dans ce contexte, le projet de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) ambitionne de questionner la transformation urbaine du point de vue de l’habitant. Intégrée à la pratique que l’habitant a de sa propre ville, la transformation urbaine devient un levier pour repenser la manière de s’approprier le territoire, de partager son expérience urbaine et de faire vivre la ville.
Ces travaux d’étudiants de l’ENSCI, dirigés par Jean-François Gleyze dans le cadre de l’édition 2014 des Ateliers de Création Urbaine de la Région Île-de-France questionnent la place et le rôle de l’habitant dans les métropoles de demain.
L’art comme facteur d’appropriation de l’espace urbain par les habitants
Pour appréhender la transformation des territoires de l’Île-de-France à l’horizon 2030, nous avons choisi de l’observer sur les lieux où celle-ci est visible : nous nous sommes donc intéressés aux chantiers, c’est-à-dire les lieux de la construction ou de la rénovation d’infrastructures et de bâtiments – notamment les infrastructures et les bâtiments publics. Ces lieux sont importants, car ils façonnent l’espace public et produisent de nouvelles formes visibles dans la ville.
Parmi ces formes visibles, les œuvres d’art issues du 1% artistique occupent une place singulière. Elles répondent à l'obligation légale de décoration des constructions publiques suivant une procédure spécifique de commande d'œuvres d'art à des artistes. En effet, à l’occasion de la construction ou de l’extension d’un bâtiment public, 1% du coût de la construction doit être consacré à la commande ou à l’acquisition d’œuvres d’art spécialement conçues par des artistes contemporains.
Du point de vue de l’habitant, l’œuvre d’art issue du 1% artistique est souvent reçue comme une décoration s’ajoutant inutilement au reste de l’espace. Pour autant, certaines formes artistiques peuvent investir l’espace urbain et interpeler le spectateur, le faire réagir, lui faire prendre position, voire le rendre acteur de ces projets artistiques. Street-art, événements éphémères de toutes natures, ou encore œuvres d’art collaboratives sont autant de formes qui participent à l’appropriation de l’espace urbain par la population. Comment alors intégrer ces formes artistiques dans le projet du Grand Paris afin de mettre en relation la transformation urbaine – visible sur les chantiers – et la participation des citadins ?
Expérimenter la Haute Qualité Artistique et Culturelle sur les chantiers
Nous proposons de créer un dialogue entre le chantier et la population par l’intermédiaire d’une expérience artistique de la transformation urbaine. Cette expérience inclut la participation active et ludique des habitants et des ouvriers à la production de l’œuvre d’art, la possibilité de laisser une trace et de signer sa présence, la création d’un espace collectif post-chantier qui utilise le matériel produit par les citadins et les ouvriers.
Nous souhaitons également que notre projet s’inscrive dans une démarche associant sur le long terme, artistes et opérateurs : la démarche Haute Qualité Artistique et Culturelle. Cette nouvelle approche plastique des villes en transformation propose d’intégrer, en amont d’un projet urbain, une stratégie artistique, de constituer un programme d’interventions d’artistes tout au long du projet, et de mener une véritable réflexion artistique et culturelle en relation avec les acteurs de l’aménagement et les habitants.
Nous avons décidé de développer notre projet sur le chantier du nouveau Campus Condorcet à Aubervilliers qui expérimente également la HQAC. La construction a débuté en 2012, une première partie doit être achevée en 2018, la globalité en 2025. Ce campus doit accueillir 15000 étudiants, professeurs et chercheurs en Sciences Humaines et Sociales. Nous avons remarqué que l’ensemble du chantier est fermé au public pour des raisons de sécurité. La transformation est alors difficilement visible et compréhensible par les habitants. En effet, très peu d’informations décrivent le projet urbain. Le nom du Campus est inscrit en hauteur et des affiches fournissent seulement des informations sur l’histoire du quartier à proximité du lieu de transformation. De plus, Aubervilliers est une ville à forte mixité sociale. La mixité sociale engendre des quartiers hétérogènes peuplés d'habitants distincts par leurs revenus ou leurs origines.
Connecter l’intérieur et l’extérieur du chantier par un dispositif narratif et évolutif
La création d’un dialogue possible entre les habitants à proximité du chantier nous est rapidement apparue comme une dimension essentielle pour créer un lien entre l’habitant et la transformation. Il s’agit de permettre à la population à proximité du chantier de laisser un mot, un avis, un croquis sur la clôture, dans le but d’offrir un arrêt, une pause à proximité du chantier et ainsi de pouvoir découvrir les messages laissés par d’autres personnes. Un tel dispositif promet d’instaurer une connexion entre le dedans et le dehors du chantier, en invitant l’habitant à laisser sa propre trace, tout en retraçant, par accumulation de contributions immatérielles puis matérielles, la vie du chantier.
Le QR-code est un symbole graphique représentant une connexion possible entre un monde matériel et un monde immatériel. Nous souhaitons utiliser ce médium, le personnaliser en fonction du chantier et l’exposer sur la palissade, afin de créer une passerelle virtuelle entre le chantier et l’habitant. La disposition libre des pixels crée une identité graphique forte et esthétique qui invite à la découverte.
Ce signe, matérialisé sur le lieu de la transformation, invite l’habitant à se connecter et à participer à la transformation en laissant une trace de manière virtuelle puis matérielle. Cette empreinte immatérielle sous la forme d’une photo ou d’un texte a pour vocation d’être rematérialisée dans le QR-Code grâce à l’intervention d’un artiste : à dates fixes, celui-ci choisit des photos et des textes qu’il intègre sur les pixels noirs du QR-code. Il s’agit ainsi de proposer une évolution temporelle et graphique du QR-Code et ainsi de faire vivre l’œuvre tout au long de sa création.
À terme, l’ensemble des photos récoltées sur la page virtuelle retraçant la vie du chantier serviront à constituer une œuvre d’art au sein de l’infrastructure ou du bâtiment achevé, laissant ainsi une trace pérenne du chantier et de sa perception par la population.
Les habitants, acteurs du chantier
Par l’intermédiaire d’un QR-code installé à l’interface du chantier et de la ville, les habitants sont invités à se connecter à la page virtuelle du chantier pour apporter leur contribution et faire vivre celui-ci.
L’art comme vecteur d‘adhésion à la transformation
Par le biais de l’application « Urban Artistes », les habitants capturent des photos ou écrivent des textes qui seront accumulées dans le chantier virtuel pour produire une œuvre d’art collaborative.
Du chantier virtuel au chantier réel
Le chantier virtuel dialogue avec le chantier réel grâce à un artiste. Régulièrement, ce dernier puise dans les contributions virtuelles des habitants pour les rematérialiser en habillant le QR-code d’images et de textes. À terme, ces contributions permettront de réaliser une œuvre d’art collective et pérenne au sein de l’équipement réalisé.