Loin d’être inéluctable, le constat généralisé, longtemps tabou1, de la déprise des centres des villes moyennes, recouvre un ensemble de phénomènes qui interrogent les fonctions économiques, commerciales et de services susceptibles de favoriser leur attractivité ainsi que les leviers mobilisables pour les redynamiser2. Si les pouvoirs publics se sont lentement emparés du sujet, les outils et les démarches se multiplient aujourd’hui pour redonner attractivité et dynamisme au centre de ces villes3.
Ces phénomènes de déclin économique des cœurs de ville se constatent dès la promenade dans les rues du centre d’une ville moyenne : les locaux d’activité laissés vacants en rez-de-chaussée des rues Augustins, Foch et Fusterie à Perpignan, du sud des rues Limousin et Bourbon à Châtellerault ou encore de la rue Thénard à Sens sont autant d’exemples qui illustrent ce constat4.
A l'image d'un cercle vicieux, la perte de dynamisme de ces centres, en partie symbolisée et entraînée par un phénomène de vacance commerciale, nourrit, entretient voire amplifie cette déqualification commerciale et économique.
Alors, au-delà du seul constat de la vacance commerciale, quelles en sont les raisons et comment la traiter efficacement5 ?
Développement de la périphérie et desserrement de la consommation
L’aménagement de grandes zones dédiées au commerce et à l’activité à l’extérieur et à l’entrée des villes, conjugué au développement des infrastructures routières, a provoqué une aspiration progressive des fonctions économiques vers la périphérie concourant à l'étalement urbain et à l’évolution des paysages, nourrissant le paradigme de la « France Moche »6.
Les entretiens et enquêtes réalisés chaque année par Intencité auprès de plus de 3000 consommateurs et commerçants permettent d’appréhender les principales raisons du départ des activités économiques vers les périphéries urbaines :
- d’une part, pour les consommateurs, un accès facilité aux produits grâce à la proximité des grands axes de flux simplifiant la pratique de la voiture ainsi qu'à des produits aux coûts généralement amoindris ;
- d’autre part, pour les commerçants, un immobilier plus accessible financièrement, plus spacieux et entretenu, à proximité des flux routiers.
« La plupart des locaux vacants sont situés sur les franges des centres-villes »
Cet élargissement des possibilités d’implantation pour les commerçants et entrepreneurs a progressivement remis en question le potentiel économique et marchand des centres-villes et notamment des secteurs présentant le moins d’atouts : accès complexes, visibilité limitée, manque de qualité et de disponibilité des locaux en rez-de-chaussée.
Reconsidérer les périmètres actifs des centres-villes
Reconsidérer les périmètres actifs des centres-villes constitue aujourd’hui le premier levier pour repenser leur attractivité. Cela permet dans un premier temps de « dédramatiser » le phénomène de vacance observé.
En effet, la plupart des locaux recensés vacants sont localisés sur les franges des centres-villes (50 à 60% sur l’ensemble des cas d’études), éloignés des places centrales et dynamiques. Ce constat amène à redéfinir les priorités d’intervention sur certaines rues et axes stratégiques concentrant les principaux atouts en termes de potentiel économique. La réduction du nombre de locaux ciblés dans les stratégies de redynamisation permet ainsi de favoriser l’efficience et la pérennité des activités développées en y concentrant les efforts en matière de prospective et de développement.
Quels usages pour un centre-ville redimensionné ?
Sur la base d’un périmètre redéfini, quelles sont alors les activités susceptibles d’être implantées au sein des rez-de-chaussée de centre-ville ?
Sur ce point encore, la rencontre des usagers du territoire fournit des éléments de réponse et permet de faire ressortir les facteurs d’attractivité recherchés au sein des centres-villes :
- premièrement, le lien au commerce alimentaire de qualité sous toutes ses formes et dans toute sa diversité ;
- deuxièmement, la notion « d’achat plaisir », favorisant la flânerie, qui demande la présence de points de vente d’habillement, de produits culturels divers (livres, art, etc.) et d’objets décoratifs ;
- troisièmement, les lieux de restauration et de rencontre, propices à l’animation des centres-villes ;
- enfin, le développement de l’aspect « pratique du centre-ville », dans le sens d'une facilité d’accès, de stationnement, de lisibilité et de déambulation piétonne dans l’espace du centre-ville.
Une fois intégrés comme éléments de base de la définition des stratégies de redynamisation des centres-villes, ces quatre piliers prennent des formes variées.
Ils se conjuguent ensuite, au moment de choisir avec précision les activités réimplantées en centre-ville, à trois grands types d’enjeux liés à l’évolution contemporaine des attentes et des valeurs recherchées par les usagers dans leur pratique du commerce.
« Il faut tirer parti de la localisation centrale du centre-ville et de sa proximité avec l'ensemble des aménités quotidiennes »
La prise en compte de ces enjeux est décisive dans le succès et la pérennisation des nouvelles activités commerciales. Il s’agit de :
- réaffirmer l’identité de l’individu au-delà du modèle standardisé qu’ont pu proposer les enseignes au cours des vingt dernières années : par exemple, le producteur local ou le créateur mode, tirant parti de matériaux locaux, permettent de renouer le lien entre l’usager et son usage. Le « do it yourself » constitue ainsi l’un des leviers majeurs en la matière, associant les usagers à leur consommation via le développement d’atelier de co-conception ou de pratique (cuisine, confection de meubles ou d’objets de décoration, ...).
- la gestion du rapport au temps du chaland. Il s’agit de tirer parti de la localisation centrale du centre-ville et de sa proximité avec l’ensemble des aménités quotidiennes (équipements publics, sportifs, scolaires, administratif) pour disposer de l’ensemble des services nécessaires aux usages quotidiens dans un espace restreint : réinstallation de cabinets de praticiens dans les centres-villes, artisan de proximité, réparation, retoucherie, dépôt-relais colis, etc.
- la nécessité de réenchanter l’usager, de lui faire découvrir les ressources de son territoire en dépassant le simple acte de consommation et en proposant une expérience associée à cet usage : explications sur la conception des produits, découverte de l’historique d’un produit, etc.
Ces tendances s’observent aujourd’hui au travers de cas épars sur le territoire français. Un nombre grandissant de commerçants et entrepreneurs ont intégré ces enjeux et s’en saisissent au sein de leur activité.
Activer le centre-ville hors de ses seuls rez-de-chaussée
Si le centre-ville se réinvente par le biais de ses entrepreneurs, commerçants et artisans, le rôle de la collectivité pour favoriser l’installation d’activités originales et attirer ces initiatives est primordial. Au-delà du seul sujet des pieds d’immeubles actifs, les actions des collectivités en matière de revitalisation doivent en effet irriguer l’espace public, les équipements et les centralités historiques des cœurs de ville.
Les halles de marché et halles foraines constituent à ce titre un exemple marquant de ce renouveau. Le marché traditionnel, bien qu’encore largement recherché par les usagers, ne suffit plus.
Plusieurs villes ont ainsi réinterrogé la programmation de leurs halles (Oulins, Dax, Anglet) afin d’y intégrer de nouvelles fonctions : espaces de dégustation, ateliers de cuisine, cours de sport en dehors des heures de marché, expositions, brunchs, etc. Les pistes sont nombreuses et soulignent le désir collectif des habitants et usagers de voir les fonctions de leurs centres-villes se renouveler.
La mobilisation des espaces publics comme supports de l’activité apparaît également comme un enjeu de développement local.
Il s’agit à la fois de l’un des supports de l’attractivité touristique et d’un moyen de conforter l’économie résidentielle. Sur la base d’un événement à thème proposant de déguster les produits du terroir, la Ville de Périgueux anime régulièrement les rues de son centre-ville, réussissant ainsi à attirer les habitants de la ville et ses alentours.
Quel devenir pour les franges de centre-ville ?
La redéfinition des périmètres actifs prioritaires de centres-villes exige de reconsidérer les fonctions attribuables à un ensemble de rues et d’axes secondaires, qui doivent désormais s’inscrire dans cette nouvelle organisation urbaine. Plusieurs champs sont aujourd’hui investigués par les acteurs publics et permettent d’envisager une seconde vie à ces pieds d’immeubles.
La reconversion en logements de certains rez-de-chaussée à faible commercialité constitue un premier axe de travail. Malgré le plus faible intérêt pour le logement de rez-de-chaussée, cette offre permet de répondre à la demande de populations à mobilités réduites au sein de localisations centrales.
On peut également envisager l’installation de nouvelles fonctions économiques en centre-ville, tels que le démontrent des exemples réussis : la Cocotte numérique de Murat, espace de co-working rural, permet par exemple de recréer une attractivité résidentielle à destination des populations actives ; le L@bo à Fourmies, est un fablab local qui organise des ateliers de découverte et d’insertion.
Enfin, la réinstallation d’activités productives au sein des cœurs de ville constitue un enjeu majeur.
Si les premières demandes des usagers se dirigent logiquement vers des activités liées au commerce, la demande exprimée par les artisans pour des locaux centraux est réelle.
Les sites de première périphérie, qui présentent un plus faible potentiel marchand, constituent une opportunité de réinstallation de ces activités sur des immobiliers souvent plus accessibles et ouverts au remembrement7. A Orbec, cette stratégie a permis de relocaliser certaines activités disposant également d’un potentiel touristique, notamment un atelier de sellerie.
De la stratégie aux actions concrètes
La mise en oeuvre de ces pistes d’actions reste cependant conditionnée à l’activation de leviers économiques permettant de recréer les conditions propices à l’installation d’activités dans ces périmètres. Les loyers pratiqués, qui reposent encore sur l’attractivité passée de ces linéaires aujourd’hui fragilisés, sont souvent éloignés des valeurs acceptables par les porteurs de projet susceptibles de s’y installer.
Ainsi, au-delà de la réflexion stratégique, l’instauration de dialogues avec les propriétaires de ces biens immobiliers déclassés, par les collectivités et partenaires, constitue l’une des conditions principales au déclenchement et à la concrétisation de ces nouveaux visages commerciaux de centre-ville. Il apparaît aujourd’hui nécessaire pour les collectivités d’engager cette démarche via des expertises dédiées (référent commerce spécialisé en négociation et immobilier commercial, structures externes d’expertise, création de SEMs8 dédiées) afin de pouvoir dégager des potentiels d’implantations concrètes pour de nouveaux porteurs de projet.
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Sylvie Fol, « Villes en décroissance : comprendre les symptômes, anticiper les risques », Revue Sur-Mesure [En ligne], 3| 2017, http://www.revuesurmesure.fr/issues/villes-en-decroissance-comprendre-les-symptomes-anticiper-les-risques ↩
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Sylvie Fol, « Villes en décroissance : vers l’ébauche de solutions adaptées ? », Revue Sur-Mesure [En ligne], 3| 2017, http://www.revuesurmesure.fr/issues/habiter-des-desirs-au-projet/villes-en-decroissance-vers-lebauche-de-solutions-adaptees ↩
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La dénomination « coeur de ville » fait référence au programme national « Action Coeur de Ville» , lancé en 2017 par l’Etat dans le but de soutenir, en termes de finances et d’ingénierie, la revitalisation des centres-villes en déprise : 222 villes de France métropolitaine et ultramarine sont éligibles à ce programme. ↩
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Olivier Razemon, Comment la France a tué ses villes, 2016, Rue de l’échiquier, 208 p. ↩
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Julie Chouraqui, « Dunkerque : où construire et pour qui ? », Revue Sur-Mesure [En ligne], 3| 2017, http://www.revuesurmesure.fr/issues/dunkerque-ou-construire-et-pour-qui ↩
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Xavier de Jarcy et Vincent Remy, «Comment la France est devenue moche », Télérama, 2010, https://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php ↩
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Le remembrement correspond à l'action de rassembler deux ou plus propriétés immobilières ou foncières en une seule. Dans le cas présent, cela permet par exemple à un artisan d'installer son atelier dans un espace plus grand et fonctionnel pour son activité que plusieurs petits locaux successifs. ↩
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Sociétés d'économie mixte ↩