« L’Enfant, la Ville et le Ruisseau », imaginé par Atelier 7 Lieues, est l’un des trois projets primés par la 17ème édition du concours Europan1 sur le site de Marseille.
L’édition 2023 du concours – intitulée « Villes Vivantes 2 : Ré-imaginer des architectures en prenant soin des milieux habités » – appelle les candidats à proposer des aménagements pour préserver et connecter les espaces naturels et anthropiques2.
Dans ce cadre, la Ville de Marseille, la Métropole Aix-Marseille-Provence et l’Établissement public d’aménagement Euroméditerranée se sont associés pour proposer un site de 400 hectares, à cheval sur les 2e, 3e, 14e et 15e arrondissements. La commande porte sur la mise en réseau des grands parcs existants et en projet : Bougainville, Aygalades, Billoux, sur la formation d’une structure paysagère partant des noyaux villageois pour relier la Méditerranée au massif de l’Étoile, et sur la revalorisation du ruisseau côtier des Aygalades, gemme paysagère aujourd’hui mutilée.
L’Atelier 7 Lieues s’inspire des mobilités et activités de l’enfance pour penser une ville plus hospitalière. Cette proposition a séduit le jury, qui lui a remis la Mention spéciale, notamment pour sa capacité à révéler la géographie des lieux par-delà les limites apparentes et à favoriser une relation apaisée et poétique entre les entités habitantes et leur environnement.
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Pouvez-vous nous en dire plus sur les nombreux profils présents dans votre équipe et leurs motivations ?
Dans nos métiers respectifs, chaque membre du collectif intervient sur des problématiques urbaines et territoriales variées, en termes d'échelles et de sujets : paysagisme, mobilités, risques hydriques, préservation du patrimoine, aménagement du territoire et politiques publiques.
Pour réinventer nos pratiques et agir en dépit de l'angoisse environnementale grandissante, nous croyons en la puissance créative de collectifs mêlant les disciplines, les savoir-faire et les media de production3. Il nous tenait donc à cœur de constituer une équipe éclectique, en capacité de répondre de la manière la plus transversale aux problématiques soulevées par Europan 17.
Parmi tous les sites proposés par le concours, le site de Marseille s’est révélé le plus adapté à la transdisciplinarité de notre équipe. C'est un site complexe qui incarne de nombreux enjeux : la richesse oubliée des patrimoines paysager et architectural, la qualité dégradée des sols, de l’air et des eaux, la difficile cohabitation des infrastructures anthropiques et des continuités écologiques, la considération du risque hydrique ou encore la nécessaire adaptation d’un quartier populaire et minéral aux risques environnementaux.
À l’heure où la crise climatique est une réalité aux effets quotidiens, en particulier dans les villes où les pics de chaleur sont de plus en plus fréquents, adapter les projets d’architecture et d’urbanisme nécessite une approche transversale qui invite à « prendre soin » des écosystèmes naturels et sociaux environnants. Faire projet ne peut plus se cantonner à l’échelle du bâtiment et de la parcelle, ni procéder de la seule logique immobilière. Il est important de prendre en compte la qualité des milieux vivants et des milieux habités anthropisés pour penser une vie locale soutenable.
Quels sont les enjeux majeurs déclinés sur le site marseillais de cette nouvelle édition d’Europan ?
Le site de réflexion s’étend sur 400 hectares au nord de Marseille. Il épouse les limites Nord, Est et Sud du périmètre Euroméditerranée, autour des noyaux villageois du Canet, de la Cabucelle et des Crottes. Malgré sa proximité avec des ensembles paysagers d’exception – tels que la Méditerranée, le massif de l’Étoile et le ruisseau des Aygalades – ce tissu urbain au passé industriel marqué (port, gare, usines, entreprises) se caractérise par un contexte social difficile, un patrimoine immobilier dégradé, des espaces publics inhospitaliers voire insécurisants et l'omniprésence de la voiture.
Par ailleurs, la portion du ruisseau des Aygalades qui traverse le site est fortement détériorée, tantôt busée, tantôt asséchée, tantôt recouverte. Cette situation résulte de l’urbanisation intensive entamée au XXe siècle et du délitement des liens entre les milieux anthropiques et les milieux vivants. La renaturation et la mise en valeur du fleuve côtier est désormais au cœur des préoccupations des acteurs publics marseillais et des habitants. Le ruisseau prête d’ailleurs son nom au futur parc de 20 hectares qui se substituera à l’actuelle gare du Canet dans le cadre de l’Opération d’Intérêt National (OIN) Euroméditerranée II.
Au sein de cet ensemble, trois sites pour un total de 25 hectares sont destinés à accueillir des projets : le délaissé ferroviaire situé sur les emprises de l’ancienne gare du Canet et ses paysages urbains annexes, le Boulevard Moretti et les balcons du Canet : parc de l’Espérance, cimetière du Canet, station Alexandre, l’échangeur routier avec l’A7 au niveau du boulevard des Plombières. Des sites mêlant une typologie bâtie et des réalités opérationnelles très variées, donc des enjeux complémentaires.
Les commanditaires suggèrent d'envisager ces ruptures urbaines comme des échantillons de la ville vivante à réinventer. Aujourd’hui inhospitalières et difficilement franchissables, elles possèdent le potentiel pour devenir les épicentres du renouveau territorial. Pour opérer cette transformation, il s'agit de profiter de l’élan des projets urbains engagés : l’aménagement du parc des Aygalades, la construction de nouveaux quartiers habités, ou encore la livraison d’un hub multimodal au niveau du métro Gèze et du prolongement du tram visant à desservir ces quartiers depuis le centre de Marseille.
Ainsi, la commande interroge la manière d’accompagner les transformations prévues pour mettre en cohérence les projets urbains, et créer des porosités entre milieux naturels et milieux habités. Elle encourage à proposer des interventions rapides et frugales – en particulier aux abords du ruisseau des Aygalades – pour valoriser voire révéler ces sites.
Quels ont été vos parti-pris et comment les avez-vous décliné ?
En s’appuyant sur l’imaginaire marseillais, notre première intention est de « refaire village » au niveau des ruptures urbaines. Nous proposons de traiter l’espace public de manière à créer un réseau de centralités piétonnes reliant les grands parcs existants ou en projet : Bougainville, Aygalades, Billoux. Nous avons identifié des lieux propices à ces émergences et proposons d’accompagner leur évolution, en cohérence avec les espaces alentour et en garantissant l'acceptabilité des transformations auprès des habitants.
L'activation des places et placettes en devenir, doit passer par une transition du système modal, aujourd’hui inféodé à la seule mobilité automobile. Le premier volet d’actions consiste à intervenir sur les axes majeurs afin d’y ménager une place aux modes doux : création de passages piétons, de haltes et de voies cyclables. Les contraintes à la circulation des voitures – que l’on sait être un besoin important pour les habitants du site – sont matérialisés par du mobilier destiné à prévenir le stationnement sauvage.
Le second volet d’intervention porte sur les chemins de traverse. Ces itinéraires bis offrent l'opportunité de créer un réseau piéton et modes actifs dans un cadre pittoresque et de mettre en valeur le site et les points de vue qu’il offre sur la ville, la mer et la montagne. Dans cette perspective, nous avons décidé de nous placer à hauteur d’enfant. En effet, le territoire est jeune – 25% des habitants du site ont moins de 15 ans4 – mais inadapté aux enfants dont l’autonomie et l’épanouissement sont limités, ne serait-ce que par la difficulté à se mouvoir en sécurité, au regard de la place prépondérante occupée par la voiture.
La présence limitée des enfants dans l’espace public est symptomatique d'espaces dégradés, peu qualitatifs et au gradient d’urbanité faible5. Ce constat rejoint la pensée de Philippe Ariès qui considère que la désertion des enfants dans les espaces publics est le signe d’une mutation des villes vers des « antivilles »6 ainsi que les pensées de Francesco Tonucci7 ou Thierry Paquot8 qui défendent depuis plusieurs années une meilleure prise en considération de l’enfant dans la conception des villes.
Recréer des liens entre l’enfant et le territoire nous semble primordial pour la dynamique locale et la transmission des savoir
Lors de sa visite à Marseille en juin 2023, le Président de la République a promis à la Ville un plan de financement d’1,2 milliard d’euros destinés à la construction ou la rénovation de 188 établissements scolaires marseillais d’ici 2026 afin de pallier le manque de moyens alloués par la Ville de Marseille. Il serait souhaitable que cet engagement financier de l’État et les politiques publiques qui en découleront permettent de proposer des aménagements complémentaires adaptés aux enfants. En effet, penser la ville à hauteur d’enfant, c’est penser l’inclusivité et l’accessibilité de tous les espaces vivants et habités ; c’est penser une ville sûre, marchable, pédagogique, rafraîchissante et commune.
Recréer des liens entre l’enfant et le territoire nous semble primordial pour la dynamique locale et la transmission des savoirs. L’enfant est garant de la mémoire de demain : il grandit avec la ville, construit son futur et contribue à la sédimentation d’un récit territorial transgénérationnel. Par ailleurs, faire participer les enfants à la réflexion est une véritable méthode de sensibilisation. La découverte des notions, le contexte urbain, l’histoire du territoire et les transformations en cours, leur permet de devenir acteurs et non simplement usagers. En participant activement à la conception et la programmation du projet, ils peuvent exprimer leurs besoins et leurs envies, se sentent davantage concernés et s’approprier les espaces plus facilement.
Ainsi, les centralités et les chemins de traverse à valoriser ont été identifiés à partir des circuits de mobilité reliant les établissements scolaires, sportifs et socioculturels fréquentés par les enfants. En outre, notre réflexion puise dans les théories du placemaking et de l’acupuncture urbaine, en défendant des actions frugales et réversibles mais ciblées et adaptées aux contextes locaux. Enfin, elle repose sur une considération polysensorielle du paysage : un travail sur les vues mais aussi sur les sonorités et les odeurs.
Plus concrètement, nos propositions visent à :
~ aménager les abords des écoles et des centralités enfantines (gymnases, parcs, médiathèques) de manière à créer un réseau d’espaces sécurisés et conviviaux,
~ transformer les espaces délaissés et peu amènes en lieux de fertilité et de sociabilité (création d'espaces de jeux sous certains ponts routiers, revalorisation de la ceinture ferroviaire, création d’espaces de pleine terre),
~ valoriser les parcours piétons et les franchissements existants (déploiement d'éléments signalétiques et mobiliers ludiques formant un ensemble cohérent, mise en valeur des points de vue et belvédères naturels, réhabilitation de la passerelle de la Traverse de la Mère de Dieu, création d’une passerelle autour du square Lyonel Ratherie pour franchir l’autoroute A7 et le boulevard de Plombières),
~ essaimer des installations ludiques, poétiques et pédagogiques (panneaux décrivant la faune, la flore et l’histoire du territoire, installations permettant de regarder, de sentir et d’écouter le paysage),
~ impliquer les établissements scolaires dans les projets urbains via des temps de concertation et des séances hors-les-murs mettant en valeur les espaces agréables (espace d’enseignement extérieur au sein du groupe de la Visitation, du parc Billoux ou du parc de l’Espérance).
Conscients de la complexité des enjeux et du jeu d’acteurs, nous avons décliné chacune de ces propositions en deux horizons temporels : le moyen terme (préfiguration par de l’urbanisme tactique) et le long terme (pérennisation).
L’intitulé de votre projet évoque aussi le « Ruisseau », comment avez-vous imaginé son traitement, sa revalorisation ?
Le rapport au ruisseau des Aygalades et aux autres cours d'eau est constamment interrogé au sein de notre projet. Son recouvrement par des infrastructures a donné lieu à des épisodes d’inondations fréquents, inhérents à l’absence de zones humides. C'est pourquoi notre projet intègre des zones d’expansion capables d’accueillir l’eau et son aléa sans mettre en péril le territoire. À titre d'exemple, le square Lyonel Ratherie est l’une de ces zones, dans laquelle la passerelle qui l’entoure a vocation à donner à voir l’eau sous un jour poétique. Ces zones nécessitent une désimperméabilisation des sols et un rétablissement des services écosystémiques de la ripisylve.
Nous y développons également des programmations légères, modulables et résilientes (éléments réparables ou remplaçables et non fixés au sol) pour leur attribuer une fonction sociale. Plus concrètement, nous proposons :
~ au niveau du futur délaissé ferroviaire ; la renaturation des sols, la création de jardins partagés en bacs, un mur d’escalade, un sentier de pleine terre menant jusqu’aux tunnels destinés à l'agriculture urbaine et un cinéma. Ce choix s’inscrit en lien avec la mutation future de l’usine Saint-Louis en studio de production de cinéma.
~ sous l’échangeur Plombières au niveau de l’affluent busé du ruisseau ; la végétalisation des terre-pleins centraux et l’installation de mobilier tactique pour petits et grands.
Pensé à des fins pédagogiques et de confort d’été, notre travail paysager vise à suggérer la présence des ruisseaux lorsqu’il n’est pas possible de les voir. Cela se traduit par la sélection d’essences – telles le saule ou le frêne – qui évoquent le ruisseau grâce à leur aspect, leurs effluves ou les sons produits par le vent à leur contact, par la création de cheminements et de passerelles piétonnes ainsi que par le déploiement d’éléments mobiliers et d’aménagements ludiques informatifs qui nourrissent la (re)connaissance collective du ruisseau et de ses vertus.
Cela permettrait d’amorcer un processus de désimperméabilisation des sols et de restauration des services écosystémiques liés au cours d’eau.
Il semble que le travail avec les acteurs locaux revêt une importance particulière pour votre équipe. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Faire avec le déjà-là, c’est faire à la fois avec les ressources matérielles et immatérielles du territoire. Les acteurs locaux sont une richesse indubitable pour concevoir un projet adapté au contexte local. Dans notre cas, le périmètre du projet proposé est doté d’un écosystème associatif et culturel très dense qui a produit de la matière très utile, à partir d’initiatives participatives, pour comprendre les enjeux du territoire. Nous avons échangé avec divers acteurs locaux tels que le Collectif Safi, les Gammares (avec qui nous avons effectué une descente de ruisseau) ou encore le personnel de l’école Saint-Gabriel. Nous nous sommes également nourris des travaux réalisés par le Bureau des Guides, par LesArchiMinots ou par Les Clés de la Cité pour étayer et confirmer notre diagnostic. Si notre projet se poursuit par une commande publique, nous serons vigilants à travailler tout au long du processus avec le tissu associatif et les établissements scolaires, via des temps d’information et de concertation, pour proposer les aménagements les plus appropriés.
Cette expérience conforte également notre croyance en la coopération avec les acteurs locaux
Nous avons par ailleurs amorcé une collaboration avec l’association locale DODOMINO (regroupant architectes, urbanistes, designers, sociologues) autour d’ateliers d’architecture et d’urbanisme avec les élèves du collège Rosa Parks du quartier de la Cabucelle. Dans ce cadre, l’une des classes du collège nous a présenté sa vision du territoire à travers des projets pensés par et pour les enfants. L'occasion pour nous de leur présenter notre projet, un moment d’échange qui a confortés nos intuitions premières et a été nourri par la qualité des propositions des collégiens, qui ont fait preuve de volonté mais aussi de compétence pour participer à la conception d'une ville plus hospitalière.
Une expérience qui nous a permis de mettre à l'épreuve la vulgarisation de notre projet et de tester la qualité de nos représentations (simples, colorées et imagées) pour les rendre compréhensibles par tous et garantir la dimension participative du projet. Un enjeu pour nous, qui avions souhaité produire un rendu qui permette à la fois de mettre en récit le territoire mais aussi de se projeter facilement dans l’avenir, à l'heure ou le projet d’architecture et d’urbanisme est encore souvent trop technique pour être compris par les acteurs locaux.
Cette expérience conforte également notre croyance en la coopération avec les acteurs locaux, essentielle pour penser les phasage et séquençage à court, moyen et long termes. Notre intervention s’inscrit dans un mouvement plus large de requalification du territoire : une temporalité longue, qui induit un ancrage local durable dans la conduite de projet, aussi bien auprès des acteurs décisionnaires que de tous ceux qui associent leur destin à la mutation du territoire. Nous souhaitons mettre à profit cet événement pour ouvrir des espaces de discussion car, pour être vertueuses, nos propositions devront être négociées : co-construites et évolutives.
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Tous les deux ans, le concours européen d’architecture, de paysage et d'urbanisme Europan offre aux jeunes professionnels la possibilité d’exposer leurs idées à travers des projets répondant aux enjeux contemporains de la fabrique des territoires. ↩
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Un milieu anthropique est un milieu dont l’état présent résulte essentiellement de l'intervention de l'homme. ↩
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Comme l’explique Bruno Latour, la solution qui doit faire modèle aujourd’hui est de “ travailler collectivement dans des disciplines complètement différentes, qui n’ont pas les mêmes médiums, mais qui abordent les mêmes questions. “ (Latour et Truong, 2022, p.101). ↩
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Estimations à partir de : compas. (2017). Portrait de quartier – Quartier Centre Ville Canet Arnavaux Jean Jaurès (Ville de Marseille) (11 p.) ; compas. (2017). Portrait de quartier – Quartier de La Cabucelle (Ville de Marseille) (11 p.) ; données Insee 2019. ↩
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Combinaison de la densité et de la mixité. ↩
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Ariès, P. (1993). Essais de mémoire : 1943 - 1983. Éd. du Seuil. ↩
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Tonucci, F. (2005). Citizen Child : Play as Welfare Parameter for Urban Life. Topoi, 24(2), 183‑195. doi.org/10.1007/s11245-005-5054-4 ↩
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Paquot, T. (2022). Pays de l’enfance. Terre urbaine. ↩