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Mesurer la qualité des sols

une démarche wallonne fertile

Si la prise en compte de la qualité des sols dans les projets d’aménagement est une intention unanimement partagée, l’absence de données et de critères satisfaisants sont encore aujourd’hui des freins majeurs. L’indice wallon de qualité des sols offre un exemple concret d’une politique publique qui prend cet enjeu à bras le corps. Un retour d’expérience qui s’inscrit dans notre cycle interdisciplinaire de publications, « Saisir l’empreinte de la ville », conçu en partenariat avec l’Institut de la transition foncière.

Michel Amand, Directeur de la direction de la Protection des sols, l’une des directions constituant le département du Sol des déchets au sein du Service public de Wallonie Agriculture, Ressources naturelles et Environnement (SPW ARNE), nous a accordé cet entretien dans le cadre de notre cycle de publications « Saisir l’empreinte de la ville ». L’occasion de nourrir nos réflexions sur le dialogue pluridisciplinaire noué autour des enjeux de connaissance, de représentation et de gouvernance des sols, à travers notamment la mise en place actuelle d’un indice de qualité des sols de la région belge. Un retour d’expérience inspirant en matière de définition et de mise en place d’une politique publique offrant un outil d’aide à la décision précieux, nourri d’une approche à la fois scientifique et opérationnelle.

Pouvez-vous rappeler comment s’organise le cadre législatif en Wallonie en termes de protection des sols ?

La Belgique est un état fédéral composé de trois communautés (la communauté flamande, la communauté française et la communauté germanophone), et de trois régions (flamande, wallonne, et de Bruxelles-Capitale), disposant chacune d’un Parlement et d’un Gouvernement. Les trois Régions sont compétentes dans divers domaines liés à la notion de territorialité dont l’agriculture, l’emploi, l’aménagement du territoire ou l’environnement. A ce titre, la politique des sols est une compétence régionale, même si des liens existent avec la législation fédérale, notamment en matière de protection de la biodiversité ou de lutte contre le changement climatique.

Un décret de 2018 a intégré dans ce cadre législatif la prévention de la qualité des sols. Comment est-ce que cela se traduit dans les politiques publiques ? Comment avez-vous appréhendé ce sujet ?

En effet, il s’agit du décret du 1er mars 2018 relatif à la gestion et à l’assainissement des sols qui vise plusieurs lignes directrices : la conjonction des principes de précaution et de proportionnalité, la préservation de la qualité des sols, l’application du principe de pollueur-payeur, la mise à disposition d’un cadre légal clair veillant à la sécurité juridique et à la simplification administrative. Bien que la notion de qualité du sol ne soit pas définie dans le décret, elle se rattache au concept de « sol en bonne santé » tel que précisé dans la stratégie européenne sur les sols, adoptée par la Commission européenne le 17 novembre 2021.

Les dispositions du décret sols comprennent des avancées majeures : l’établissement d'une banque de données de l'état des sols, la définition de faits générateurs d'obligations, la définition de ces obligations ainsi qu’un système de normes pour le sol et l'eau souterraine.

Le décret prévoit ainsi que toute personne soit tenue de prendre les mesures appropriées afin de préserver le sol et de prévenir toute pollution nouvelle du sol et que le Gouvernement puisse prendre les mesures nécessaires aux fins de protéger le sol et d'en assurer une utilisation durable et respectueuse de l'environnement, de préserver et de restaurer sa qualité et de prévenir les processus de dégradation et d'altération. Le décret se focalise cependant sur les enjeux de prévention et de gestion de la pollution des sols. Pour des raisons de faisabilité économique et technique, cette gestion des sols pollués sur la base des risques : en résumé, les niveaux de pollution rencontrés ne doivent porter atteinte ni à la santé humaine, ni aux ressources en eau, ni aux écosystèmes. Les dispositions du décret sols comprennent par ailleurs des avancées majeures : l’établissement d'une banque de données de l'état des sols, la définition de faits générateurs d'obligations (permis d'urbanisme par exemple, fin d'une activité présentant un risque pour le sol, dommage environnemental, etc.), la définition de ces obligations (allant jusqu’à la réalisation de travaux d'assainissement) ainsi qu’un système de normes pour le sol et l'eau souterraine permettant de fixer des critères d'intervention et des objectifs d'assainissement.

Au-delà de sa vocation première, environnementale et sanitaire à travers la dépollution des sols pollués, ce décret a pour ambition de contribuer à remettre dans le circuit économique des friches industrielles et des terrains contaminés. Les investigations (étude historique du terrain, prélèvements et analyses de sol) sont menées par étapes de manière à circonscrire et caractériser les zones qui nécessitent une intervention (normes dépassées ou risque établi), laquelle peut prendre la forme de mesures de sécurité, de mesures de suivi (dans l'attente d'un assainissement) ou d'un assainissement.

Le décret du 1er mars 2018 ne traite cependant pas de planification et d’aménagement du territoire. Toutefois, des avis relatifs au volet « sols » sont remis par certains services de l’administration dans le cadre de l’octroi d’autorisations liées à des permis d’urbanisme et/ou d’environnement. Ces avis couvrent, au-delà de la pollution des sols, des thématiques telles que l’érosion et l’imperméabilisation des sols. Le développement d’un indice de qualité des sols wallons poursuit ainsi l’objectif d’une meilleure prise en compte de la qualité des sols et des services écosystémiques qu’ils fournissent dans les processus décisionnels.

Quels sont les enjeux d’association des acteurs en Wallonie ?

La Wallonie dispose d’une seule administration (le Service Public de Wallonie ou SPW) qui comprend plusieurs entités dont le SPW Agriculture, ressources naturelles et environnement (SPW ARNE). La structure même du SPW ARNE, regroupant les compétences relatives à l’environnement, l’agriculture, la nature et les forêts ainsi que le contrôle et la police en matière d’environnement, permet de faciliter les contacts avec les associations des acteurs concernés. Il n’en demeure pas moins que d’autres compétences comme l’aménagement du territoire dépendent d’autres entités du SPW avec lesquelles les contacts sont fréquents, en profitant notamment des opportunités offertes par le travail sur l’indice de qualité des sols wallons.

Comment est né le projet d’élaboration de cet indice ?

La nécessité de pouvoir disposer d’un diagnostic de la qualité des sols comme outil d’aide à la décision était identifiée depuis plusieurs années, au-delà des réflexions menées sur les dégradations des sols séparément. Nous pouvons citer quelques démarches pionnières : INFOSOL et SAS-STRAT en agriculture, de même que SOILVAL en lien avec l’aménagement du territoire.

Sur la base de ces réflexions, et à l’occasion du Plan de Relance de la Wallonie lancé en 2021, la thématique des sols a pu être prise en compte, dont les volets relatifs à la mise en œuvre d’un réseau de surveillance de la qualité des sols et d’un indicateur intégré wallon. Des groupes de discussions initiés en juin 2024 autour de cet indice prolongent les réflexions, en fonction des usages du sol (sols urbains, sols forestiers et naturels, sols agricoles et horticoles) après un workshop de lancement réalisé en avril 2024.

S’assurer que la qualité des sols puisse être évaluée par tout porteur de projets, avec l’appui et le développement d’une filière d’accompagnement.

Comment a été pensé la finalité de cet indice ? Quelles en sont les déclinaisons concrètes en termes d’usage des sols, de valorisation de bonnes pratiques de gestion, de marché, etc. ?

Le 14 juillet 2021, le Gouvernement wallon approuvait dans un plan ambitieux baptisé Plan de Relance de la Wallonie de nombreux projets, dont certains visent spécifiquement à restaurer et améliorer le statut organique et la qualité biologique des sols wallons (agricoles, forestiers, urbains), limiter leur imperméabilisation et faciliter la gestion des terres excavées dans une approche de circularité.

L’un de ces projets, le numéro 115, centrée initialement et uniquement sur la mise en place d’un suivi de la qualité biologique des sols au niveau régional, a été élargi, de manière à couvrir plus largement la notion de qualité des sols, et de s’assurer que cette qualité puisse être évaluée par tout porteur de projets, avec l’appui et le développement d’une filière d’accompagnement disponible en Wallonie (experts scientifiques et techniques, laboratoires).

Ainsi, trois types d’activités étaient définies pour ce projet 115 :

  • améliorer la connaissance de la qualité biologique des sols wallons (tout type d’usage du sol confondus)
  • développer un indicateur intégré de la qualité des sols (volet citoyen et volet expert)
  • renforcer la filière d’analyse et de conseils pour le volet « qualité des sols » à travers un réseau de laboratoires et subsidier la réalisation d’analyses de la qualité du sol par un porteur de projet (citoyens, agriculteurs, forestiers, entrepreneurs…)

Faciliter l’intégration de la notion de qualité du sol dans la conception des projets.

L’indicateur permettra in fine de faciliter l’intégration de la notion de qualité du sol dans la conception des projets pour les différents types d’usage considérés, et d’adapter au mieux l’équation entre l’utilisation future du sol et son état qualitatif actuel. Il pourra également alimenter les réflexions sur la restauration de la qualité des sols, selon les types d’usage considérés, et sur la meilleure affectation des sols en fonction des services écosystémiques qu’ils peuvent fournir (production de biomasse, infiltration, filtration, rétention des eaux, habitat pour la biodiversité, séquestration du carbone…).

Le volet citoyen de l’outil, qui devrait en principe être finalisé pour la fin de cette année, se basera sur des tests simplifiés à vocation de sensibilisation, tandis que le volet expert sera réalisé en principe d’ici fin 2026 sur base d’une analyse plus poussée permettant notamment d’améliorer l’évaluation des impacts environnementaux des projets, plans ou programmes (alimentation du volet « sols » des études d’incidences environnementales, détermination de mesures compensatoires, etc.). La faisabilité d’une cartographie régionale de l’indice sera également étudiée, et des actions de communication seront prévues en vue de diffuser l’information le plus largement possible.

Un consortium en charge du projet de construction de l’indicateur travaille sur l’implication des acteurs concernés et a organisé des ateliers publics qui contribuent, outre le développement de l‘indicateur, à impulser le dialogue entre les participants aux enjeux liés à la santé et à la qualité des sols.

Des informations complémentaires sont disponibles sur iqsw.be

Envisagez-vous une articulation avec les autres régions belges, notamment avec l’outil mis en place à Bruxelles ? Avec la directive sol européenne ?

Bien que l’indicateur de qualité des sols wallons s’inspire de son homologue bruxellois, il entend avant tout répondre aux spécificités de la Wallonie et de sa législation et ce, en couvrant toute la diversité des usages des sols. A ce stade, il n’est pas prévu d’harmonisation avec d’autres outils existants qui seraient développés chez nos voisins. Cependant cet outil et le réseau de mesure qui devra être élaboré serviront en effet très certainement dans le cadre de la mise en œuvre de la future directive européenne relative à la surveillance des sols.

Pour citer cet article

Michel Amand, « Mesurer la qualité des sols », Revue Sur-Mesure [En ligne], mis en ligne le 17/10/2024, URL : https://revuesurmesure.fr/contributions/mesurer-la-qualite-des-sols