Anna Labouze et Kemmis Henni présentent l’exposition "Grande Ville" aux Magasins Généraux. Ils nous ont accordé, à l’occasion de son inauguration, un entretien sur une thématique qui nous est chère, les liens entre la fabrique de la ville et les récits artistiques qui parviennent à en saisir la face cachée, les imaginaires, les potentiels…
Cette exposition touche à l'hospitalité de la grande ville, sa capacité à être habitée, parcourue. Pourquoi est-ce que cela vous a paru nécessaire de poser cette question ?
Deux éléments ont motivé ce projet. Le premier, c'est notre point de vue, celui d’habitants du Grand Paris. Paris, cette métropole en chantiers constants qui génère tant de mécontentements. Celle-là même qui a accueilli les Jeux olympiques qui furent, au moment des préparatifs, l’objet de tant de critiques. Et puis il y a un écho plus lointain, celui de la crise sanitaire, quand tant d’habitants ont espéré quitter cette grande ville pour un autre mode de vie. Certains sont partis dans d’autres géographies, rurales notamment, et d’autres en sont revenus. En observant ces mouvements, nous nous sommes rendus compte à quel point nous ne faisions que critiquer cet endroit où l’on vit.
Le Grand Paris, c’est trop dense, trop pollué, il y a trop de monde, c’est impersonnel, ça anonymise. Pourtant, il y a quelque chose qui nous y attache. Certes, il y a nos plaintes, mais aussi du réjouissement. Se réjouir de ces Jeux olympiques qui ont finalement fait rêver, se réjouir d’une nouvelle station de métro qui ouvre, se réjouir quand on est parti longtemps et que l’on est heureux de revenir. C’est ce que nous avons souhaité étudier. Ce soi-disant désamour d’un Grand Paris dans lequel on revient finalement sans cesse ne cacherait-il pas un manque d’attention à son hospitalité ?
Ensuite, il y a notre intérêt de porter cette interrogation à travers le monde. L’exposition réunit les œuvres de vingt-quatre artistes, de plusieurs générations, de nationalités différentes. Par le prisme de l’art, on remarque qu’à Bogota, New-York ou Kinshasa, des problématiques et des solutions communes se font écho. Bien sûr, certains artistes portent des visions dystopiques sur la ville, mais de temps en temps, les œuvres se placent du côté de la solution. C’est ce qui nous a intéressé. “Grande Ville”, c’est une sorte d’exposition feel good. Nous voulions que les visiteurs se sentent bien après l’avoir vu, qu’ils soient inspirés.
© Mathis Payet Descombes
Vous dites que les artistes portent des solutions. Quels ponts se créent selon vous entre la création artistique et la fabrique de la ville actuelle ? Qu'est-ce que les artistes peuvent apporter de si singulier ?
Quand on pense aux théâtres, aux musées, aux opéras, la question culturelle a toujours été centrale dans les villes et leur aménagement. L'œuvre dans l’espace public n’est pas non plus une nouveauté. Ce qui peut être nouveau, c'est que l’art n’arrive pas uniquement en aval, mais peut arriver en même temps que la réflexion urbaine et architecturale. L’un des exemples les plus emblématiques en ce moment, ce sont les gares du Grand Paris Express. Les binômes architectes - artistes ont été définis avant même la conception : à chaque fois, ces duos ont été invités à porter une réflexion sur le territoire et ses usages. On dépasse clairement le positionnement esthétique.
Il semble en effet qu’il y a une prise de conscience plus importante du rôle des artistes dans la conception de nos villes, alors même que ce n’est pas totalement nouveau : prenez le travail de Liz Christie, artiste et activiste new-yorkaise dont “Grand Ville” présente le travail. En 1973, elle concevait un jardin partagé comme une œuvre d’art participative. Elle a ensuite été recrutée par la ville de New York pour créer d'autres jardins partagés. Il y en a eu près de 700 ! On pense évidemment aussi à Tadashi Kawamata, architecte de formation, qui a énormément travaillé dans l’espace public avec un vocabulaire iconique, celui de grandes œuvres en bois comme son belvédère à Nantes. Dans une perspective plus utopique, les œuvres de l’artiste et maquettiste congolais Bodys Isek Kingelez, aujourd’hui décédé, nous emmènent dans le Kinshasa du futur, celui de ses rêves. Créées avec des matériaux ordinaires et récupérés, ses maquettes sont magnifiques et très réalistes. Comment rendre un hôtel de ville, une tour ou une salle de théâtre plus inclusifs, plus colorés, plus désirables ? Kingelez a mené cette réflexion d’utopie réelle pendant trente ans. Il considérait ses maquettes comme un répertoire d’inspirations possibles pour les architectes et les urbanistes.
© Mathis Payet Descombes
Quel sens particulier cette exposition sur la “Grande Ville” prend-elle aux Magasins Généraux, un lieu emblématique de ce Grand Paris auquel vous faites référence ?
A travers les différentes activités d’Artagon, notre association, nous menons des projets dans différentes villes en France, notamment à Marseille et à Pantin. La question de savoir comment travailler avec un territoire, ses habitantes et ses habitants, investir un tissu urbain avec des artistes, se pose à chaque fois.
L’ancrage est central dans tout ce que nous développons. Aux Magasins Généraux, évidemment, c’est un sujet très présent : c’est un lieu industriel iconique de Pantin, un temps abandonné et investi par des graffeurs, il a été réhabilité et mène maintenant une nouvelle vie, où des gens travaillent, viennent voir des expositions, assistent à des concerts ou des rencontres. C’est un bâtiment ancien dans un environnement nouveau, qui n'a pas encore toute sa vie de quartier. Cela nous a paru intéressant de montrer cette exposition à cet endroit, parce qu’il y avait justement un quartier qui était en train de s'inventer, des voisins qui ne connaissent pas encore. A une échelle très locale, nous espérons que cette exposition puisse être une source d'inspiration aussi pour cette partie de la ville de Pantin.
© Mathis Payet Descombes
Découvrez l'exposition "Grande Ville", du 27 septembre au 17 novembre 2024 aux Magasins Généraux
1 rue de l'Ancien canal, 93500 Pantin
Du mercredi au dimanche
14h → 19h
Entrée libre et gratuite
Eveils artistiques "Villes en Pyjamarama" - de 3 à 6 ans
Ateliers "Ma Ville rêvée" - à partir de 6 ans